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La force de police auxiliaire :

Rémy Valat

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"L'ART DU RÉCIT DE VIE" LA DÉMARCHE DE CHISTORIEN FACE AUX TRAVAUX DE SAYAD

Jean-René Genty


École et islam

Jean-René Genty

 

"Les Algériens, entre guerre d'Algérie et appel de main-d'oeuvre"

Intervention de J.R.Genty au colloque de l'ADI ( Association pour le développement interculturel). Mai 2005 à Courrières

 

 

Immigration et politique de l'habitat

Svlvestre Tchibindat


Un tournant de la " Bataille de Paris " : l'engagement de la Force de police auxiliaire (20 mars 1960).

Rémy Valat

 

 

 


Nous avons reçu un article de Rémy Valat, l'auteur d'un excellent article "Les calots bleus de la bataille de Paris", Michalon, 2007 dont la documentation servira pour l'écriture d'un prochain livre sur "la guerre du FLN en France". C'est avec plaisir que nous publions ce très bon article de Rémy Valat, comme une contribution au débat toujours ouvert sur l'histoire de l'émigration algérienne, et en particulier sur la séquence où le FLN caporalise l'émigration après le massacre la direction de l'Union syndicale des travailleurs algériens (USTA) et mène une politique, radicalement différente avec celle menée en France par l'Étoile nord-africaine, le PPA et le MTLD puis par le MNA et l'USTA.


La force de police auxiliaire : une historiographie sous influence ? Réponse de l’auteur aux critiques formulées contre son ouvrage Les calots bleus et la bataille de Paris. Une force de police auxiliaire pendant la guerre d’Algérie (1959-1962)

 

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Intervention de J.R.Genty au colloque de l'ADI ( Association pour le développement interculturel). Mai 2005 à Courrières

Les Algériens, entre guerre d'Algérie et appel de main-d'oeuvre

Inspecteur Général de l'Administration de l'Éducation Nationale et de la Recherche

Auteur de : " Histoire de l'immigration algérienne dans le Nord-Pas-de-Calais " L'Harmattan, 1999

 

"Des Algériens dans la région du Nord. De la catastrophe de Courrières à l'indépendance", L'Harmattan, 2005

Depuis 1909, des migrants originaires d'Algérie vinrent travailler dans les centres industriels de la région du Nord. Après la seconde guerre mondiale, les flux devinrent importants et continus à l'image de ce qui se passait dans l'ensemble de la France métropolitaine. Entre 1954 et 1962, la guerre d'Algérie fut à la fois le contexte et le quotidien des relations entre la métropole et la colonie. Elle revêtit également l'aspect d'une guerre civile algérienne. Cette situation fit peser une très lourde hypothèque sur les flux collectifs et sur la vie de l'émigré. La situation dans la région du Nord illustre cette évolution.

 

I- Une explosion migratoire à la fin des années quarante suivie d'une diminution sensible entre 1954 -1962

I-1- Une évolution atypique

Les deux départements connurent des arrivées très importantes à partir de 1948. En novembre de cette année, on comptait 9 598 Algériens. Ils étaient 18 300 en 1954. En 1962, ils atteignaient le nombre de 23 405. En fait, ces données sont trompeuses à plusieurs titres. En 1948, les services du ministère du travail considéraient qu'il fallait compter pour 15 000 actifs recensés, une population totale de 35 000 individus (ce qui ferait environ 20 000 itinérants sans travail fixe). Les données annuelles produites par cette administration indiquent une baisse régulière des actifs entre 1954 et 1962. Si on attribue la base 100 aux effectifs recensés en 1950, ceux comptabilisés en 1959 ne représentent que la valeur 89. En France métropolitaine, au cours de la même période, on passe de l'indice 100 à l'indice 209. Dans le Valenciennois, le niveau de 1950 avec 3 530 Algériens ne fut retrouvé qu'en 1964 avec 3561 individus1.

 

l-2- Les ressorts de l'explosion migratoire Trois éléments ressortent principalement pour expliquer cette évolution.

1-2-a- Les raisons économiques

Elles combinent deux situations, celle de la région qui se trouvait confrontée aux nécessités de la reconstruction comme en 1919 et celle de l'Algérie qui connaissait une crise économique, sociale, politique et psychologique majeure. II faudrait d'ailleurs nuancer le terme de pénurie de force de travail régional.

l-2-b- Les raisons juridiques

L'application du statut de 1947 eut des effets non négligeables. II avait été précédé par le rétablissement dès le 1er mai 1945 de la liberté de circuler. Les Algériens, citoyens français, étaient prioritaires en matière d'embauche par rapport aux ressortissants étrangers.

Le législateur assimilait les départements algériens au droit commun mais il semble bien que l'administration et notamment le ministère du travail tentait d'organiser et de contrôler les flux. Les contrats de travail furent envoyés au compte-gouttes et les intéressés durent avancer les frais de voyage. Ces conditions restrictives facilitèrent en fait l'émigration libre car celui qui faisait ce choix n'était pas lié avec un employeur précis. Cette attitude de contournement de la réglementation par les pouvoirs publics correspondait à une forte tradition d'ethnicisation de l'approche de ces questions parmi les élites républicaines. Cela se traduisit par une forte méfiance à l'égard des populations originaires du sud2.

l-2-c- Les raisons psychologiques

De nombreux jeunes Algériens choisirent l'exil pour trouver du travail et assurer leur subsistance et celle de leur famille. Ils quittèrent leur milieu d'origine où toute perspective d'avenir leur était fermée. Les événements de mai 1945 eurent également des répercussions non négligeables. De nombreux militants et sympathisants voire de simples Algériens gagnèrent l'émigration pour échapper à la pression sociale et policière.

Cet ensemble de facteurs éclaire l'explosion migratoire qui survint à partir de la deuxième moitié de l'année 1948. Il existait une très forte attractivité de la région du Nord. Ce qui se traduisit par la montée en puissance des effectifs d'Algériens employés dans les principales industries mais aussi par la présence d'une population de vagabonds qui circulaient de ville en ville. Une note conservée aux archives diocésaines de Lille, datant vraisemblablement de 1953, indique que sur 2 500 à 3 000 Algériens vivant à Lille, 50 % bénéficiaient d'un travail régulier, 20 % étaient des itinérants qui se déplaçaient de ville en ville et 20 % vivaient totalement en marge3.

 

II- Quelques situations d'entreprises : Usinor-Valenciennes, l'usine des Asturies dans le Douaisis, les Houillères nationales du Nord-Pas-de-Calais

II-1- L'évolution de la situation à Usinor-Valenciennes

L'évolution des travailleurs Nord-Africains employés dans les usines du Valenciennois illustre la particularité du département du Nord.

Quatre usines du groupe USINOR, Valenciennes, Hautmont, Louvroil (Nord) et Montataire (Oise) employaient, en 1950, 958 Nord-Africains dont 475 à Valenciennes. La diminution des effectifs entre 1953 et 1966 est spectaculaire, 300 en 1953, 270 en 1955, 175 en 1957 pour osciller de 100 à 87 entre 1959 et 19664.

 

II-2 - l'évolution enregistrée à l'usine des Asturies

L'usine de la Compagnie Royale Asturienne des Mines d'Auby qui, dès les années vingt, eut recours de manière significative à la main d'oeuvre algérienne, réduisit considérablement la part des travailleurs algériens. En 1950, ils représentaient 43 % des effectifs, 30,6 % en 1955, 16,6 % en 1960. A partir de 1965, le pourcentage demeura stable : 13 %. On était donc passé d'une population de 650 individus au début de la guerre d'Algérie environ à 250 à la fin du conflits.5

 

II-3- L'évolution des effectifs employés par les Houillères

Dans les Houillères, on constate une diminution des effectifs qui s'accentue à partir de 19606.

Parallèlement à cette évolution, on constate le recours de plus en plus important à la main-d'œuvre marocaine qui l'emporte en 1961.

 

III- Une vie quotidienne pressurée par les exigences du politique

Les évolutions du conflit contribuent à expliquer ces fluctuations spécifiques à la région. II faut rappeler que, jusqu'en 1962, le Mouvement National Algérien de Messali Hadj demeura prépondérant dans la région du Nord. Cette particularité se traduisit par la persistance des affrontements armés jusqu'à la fin et une répression policière très pesante.

 

III-1- Les départs au maquis

Dans les semaines et les mois qui suivirent le 1er novembre 1954, on enregistra des départs nombreux. On sait que, suivant l'appel de Messali, un certain nombre de militants rejoignirent l'Algérie pour gagner les cellules urbaines et les maquis7. Au cours du premier semestre 1956, les Houillères se trouvèrent confrontées à une réelle difficulté de main-d'œuvre due au maintien sous les drapeaux des démobilisables, au rappel d'éléments du contingent et au départ d'un certain nombre d'Algériens. Le mécanisme, tel qu'il apparaît dans la presse quotidienne, est assez complexe. La crise commença au cours de 1955 et s'accentua à partir de mars 1956 avec le départ des rappelés et des Nord-Africains.

Quelques données chiffrées permettent d'illustrer la situation :

janvier 1956 : l'effectif des ouvriers du fond fléchit de 37 unités malgré l'embauche de 594 ouvriers ;

février 1956 : + 146 unités avec l'embauche de 617 ouvriers ;

mars 1956 : diminution de 324 unités malgré l'embauche de 489 unités8.

 

III- 2- La lutte MNA/FLN

Elle commença un peu avant l'été 1956 quand le FLN voulut s'implanter dans la région en tentant de prendre le contrôle des cafés algériens. Rapidement, le Nord devient le champ de bataille entre les deux appareils militaires. La lutte se solda par 838 agressions entre 1955 et 1962 entraînant 627 morts et 666 blessés. Les quartiers ouvriers de la région se transformèrent en champ de bataille et les métropolitains n'échappèrent pas toujours aux balles perdues9. Cet affrontement permanent eut deux effets principaux :

>1 Beaucoup d'Algériens tentèrent de gagner des départements plus tranquilles, ceux notamment où le FLN avait établi sa domination après avoir éliminé physiquement ou rallié l'appareil messaliste.

>2 Les milieux patronaux manifestèrent une réticence de plus en plus marquée à employer des travailleurs algériens. Les Houillères réagirent en accélérant le recrutement des travailleurs marocains. En 1954, elles employaient 587 Marocains, ils étaient 8 646 en 1962. Les Houillères mirent en place un système d'accord avec le pays d'origine qui aboutit à un encadrement très strict de ces travailleurs. A Usinor, la démarche fut encore plus radicale car la direction vivait cette situation comme un échec quasi personnel. En effet, dès les années cinquante, cette entre prise avait mis en place un dispositif de prise en charge des travailleurs algériens très en avance même si l'idéologie qui la guidait relevait plus de la tradition coloniale que de l'approche anticipatrice.

Le recours au terrorisme débordait parfois sur le lieu de travail. Ainsi, le 1er avril 1961, un commando messaliste mitrailla la sortie des ouvriers aux usines de la Providence à Hautmont. L'attentat fit deux victimes métropolitaines et dégrada considérablement le climat au sein de l'entreprise et dans la ville10.

 

III-3- Le poids de la répression policière

A partir de 1956, un quadrillage policier pesant fut mis en place dans les centres industriels de la région. L'arrondissement de Douai comptait environ 2 500 Algériens, les statistiques policières donnaient le nombre de 8193 contrôles effectués au cours de l'année 1960. A ces pratiques quotidiennes, il faut ajouter l'installation d'une forte tension entre policiers et migrants qui allait parfois jusqu'à la brutalité.

Conclusion

La dimension "Guerre Civile" du conflit joue un rôle important dans les deux départements septentrionaux. La résistance au FLN manifestée par des groupes importants, voire la persistance d'une certaine suprématie du messalisme expliquent l'intensité des affrontements armés. Même si les acteurs avaient établi comme principe tacite de sanctuariser les lieux de travail, cet engagement ne fut pas toujours respecté. Ces dérapages furent moins dus à la constitution de structures syndicales spécifiques qu'aux débordements des affrontements armés.

Dans une brochure publiée en 1958, l'Union des industries minières et métallurgiques écrit :

 

"Deux départements, la Moselle et le Nord, qui comptaient parmi ceux dans lesquels l'emploi de la main-d'œuvre Nord-Africaine était le plus élevé, enregistrent une baisse sensible. Elle est sans doute due, en partie, à la pression du FLN facilitée par la densité même de la population"11

On peut faire des hypothèses concernant les effets de cette particularité de notre région. Le premier de ces effets, c'est évidemment de concourir à la construction d'une image assez négative de l'immigré algérien. La seconde, c'est un certain effacement du souvenir de cette première immigration. Comme un certain nombre d'employeurs ont eu recours à des travailleurs marocains recrutés dans un cadre d'accords étatiques bilatéraux, ces derniers sont apparus assez vite comme les premiers migrants venus du Maghreb. La continuation et l'amplification des flux migratoires entre l'Algérie et !a France après l'indépendance ont achevé de brouiller la perception de l'historicité de l'Immigration Algérienne.

 

Notes

1-Ces données sont extraites de la thèse de Jacques Eloy, " L'action sociale pour les Nord-africains dans le Valenciennois ", université de Nanterre, 1977

2- On se reportera aux pages écrites à ce sujet par Gérard Noiriel, dans le chapitre intitulé "Une histoire du politique", publié dans Etat, nation et immigration, folio, histoire, 580p, 2005. Il cite en particulier ce courrier du Général de Gaulle qui demande qu'on limite les naturalisations des immigrés orientaux et méditerranéens pour ne pas altérer la composition ethnique de la population française. Lettre datée de juin 1945.

3- Document dactylographié conservé dans les archives diocésaines de Lille, fonds Liénard, DP 156-Nord-Africain.

4- Odette Hardy-Hémer, "Une usine à l'apogée de sa maturité", texte publié dans Usinor Trith , Centre Régional de la 2000, 95 p.

5- Luc Donnet, "L'industrie du zinc dans le Douaisis", mémoire de maîtrise, Lille III, 1991, 97 p.

6- Centre historique minier, séries statistiques.

7- Déclaration du 8 novembre 1955. Messali replace l'insurrection dans la continuité de la lutte pour l'indépendance et souligne que la répression s'est abattuesur le MTLD.

8-"La Croix du Nord", 11/07/56.

9- Jean-Pierre Royer chiffre à 18 le nombre d'Européens tués dans la région, J.P.Royer " Le public du Nord et les affaires d'Algérie", DES de Sciences Politiques, octobre 1961, Université de Lille, Faculté de Droit et de Sciences Economiques.

10- "Le courrier de la Sambre", 2 avril 1961.

11- UIMM, "L'emploi de la main-d'œuvre nord-africaine dans les industries des métaux -Problèmes actuels", Brochure n°10, Paris, 1958, p25.

 

 

 


Article paru dans la revue de l'inspection générale N°1 février 2004 "École et République. Ministère Jeunesse, Education, Recherche."

École et islam

Jean-René Genty, inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche

 " Il est vrai que plus que d'autres religions, le christianisme par exemple l'Islam s'implique comme tel dans la société, les institutions et jusque dans les figures de la vie. Là réside, aux yeux des théoriciens , un privilège que certains dircissent en dimemme. Il prête, ce dilemme, à des shématismes dangereux " Jacques Berque1

 

Écrire sur le thème de l'école et de l'Islam demeure une gageure tant cela défie tout effort de synthèse et de clarification et suscite amalgame et caricature.

Se situant dans la question plus générale de la rencontre entre l'islam et l'occident, la réflexion mobilise les argumentaires réciproques énoncés dès 1883 au cours du débat relatif à l'islam et la science qui opposa Ernest Renan et le cheikh Gemmal Eddine el Afghani 2.

La question se pose avec acuité car l'institution scolaire accueille désormais de nombreux jeunes musulmans issus de l'immigration. La rencontre entre l'institution républicaine et des populations fortement marquées par des conceptions juridiques spécifiques articulées autour de la notion de statut personnel, constitue l'objet véritable du débat.

Pourtant, avant de regarder les difficultés, il est permis de s'interroger sinon sur la pertinence de la démarche, du moins sur la signification et la réalité des phénomènes observés et dénoncés. De nombreux travaux réalisés au cours de la dernière décennie semblent indiquer un processus rapide d'alignement des pratiques religieuses des musulmans vivant en France sur celles des croyants des religions "traditionnelles", chrétiennes notamment. Que ce soient les travaux des équipes de Bruno Etienne ou la grande enquête de Michèle Tribalat, tout semble montrer une évolution accélérée vers des attitudes similaires à celles des fidèles des autres religions 3. Le texte qui suivant esquisse un tableau de la situation du point de vue de l'observateur de terrain. Après avoir recensé "les questions qui fâchent"4, on insistera sur un aspect important de l'évolution de l'islam en France, son intellectualisation, pour évoquer ensuite les attitudes des acteurs institutionnels.

 

Islam et école : les questions qui fâchent

De nombreux témoignages publiés, des incidents recensés par les autorités ainsi que des observations recueillies lors des visites en établissement permettent de conclure à une visibilité accrue de comportements plus ou moins en rapport avec l'islam là où se trouvent d'importantes populations immigrées5. Certaines des attitudes relèvent de pratiques religieuses proprement dites, d'autres sont des comportements déviants qui se parent plus ou moins explicitement de références religieuses.

 

>>" Les pratiques religieuses"

II s'agit des comportements directement liés à la pratique religieuse. On y trouve le particularisme vestimentaire, l'observance des interdits alimentaires, le respect du jeûne et la participation aux fêtes religieuses. Si chacune de ces attitudes adoptées individuellement ne peut ni ne doit soulever aucune objection ou difficulté majeure, elles peuvent rapidement perturber la vie d'une collectivité-scolaire lorsqu'un nombre significatif d'élèves les adoptent. L'exemple classique demeure la fin du ramadan en cours qui s'accompagne parfois de revendications pour que la rupture du jeûne s'accomplisse pendant l'heure d'enseignement. Le particularisme vestimentaire pose un problème particulièrement complexe notamment quand il se traduit par le port du voile car cela renvoie au statut personnel de la femme dans la société musulmane, "égale au croyant en religion mais mineure en droits dans la société" selon la formule de Leïla Babès 6.

 

>>" Les attitudes déviantes"

II s'agit d'attitudes explicitement agressives dans lesquelles la religion semble jouer un rôle essentiellement idéologique. On peut citer le défaut d'assiduité à certains cours, voire la critique des contenus selon une grille politico religieuse. Dans un autre registre, le rôle de la référence religieuse mal comprise paraît difficile à évaluer dans le processus général de dégradation des relations entre adolescents et adolescentes. On a évoqué précédemment le statut personnel de la femme dans le monde arabo-musulman. Tout ceci reste à nuancer comme le montrent les ouvrages de Malek Chebel7 mais il vrai que les propos de théologiens actuellement influents au sein de l'islam européen jettent une lumière inquiétante sur l'influence potentielle de certains discours8.

La judéo phobie constitue un axe structurant de nombreux comportements déviants. Attitude répandue, longtemps sous-estimée voire occultée, elle s'enracine dans un fonds théologique ancien qui imprègne le milieu familial, réactivé pour les plus jeunes par la tragédie moyenne orientale9. II y a là sans doute un élément déterminant longtemps sous estimé car considéré comme uniquement conjoncturel10.

On pourrait évidemment citer d'autres comportements, pressions voire agressions, plus ou moins habillés de références religieuses.

 

 

Islam en France : une structuration et une intellectualisation qui empruntent la voie de la spiritualité

On a souvent attribué les difficultés d'insertion dans le cadre de la République laïque à ce qu'on appelait "l'islam des caves". On entendait ainsi dénoncer la faiblesse intellectuelle de l'encadrement religieux et sa supposée inféodation à des états étrangers. On peut remarquer que les pouvoirs locaux (essentiellement patronaux) et nationaux avaient délégué sans scrupule entre 1960 et 1980 la "gestion des caves" aux appareils policiers de la monarchie chérifienne et de la république algérienne démocratique et populaire. Parallèlement, on a sans doute sous-estimé un processus puissant et rapide d'intellectualisation et d'autonomisation de l'islam en France. A la fin des années quatre-vingt, en réaction à la ghettoïsation, aux difficultés de tous ordres, aux déceptions et aux manipulations, un mouvement d'adhésion à la religion s'est produit dans le milieu des jeunes diplômés. Ce mouvement a emprunté des voies diverses mais il a abouti à la naissance d'un islam intellectualisé, minoritaire, proche des gens et en voie de sécularisation rapide.

 

>> Un islam intellectualisé

Renouant, à un siècle et demi de distance, avec les exemples d'El Afgâni, et de Mohamed Abdou qui firent de Paris un grand centre de la renaissance intellectuelle musulmane, des intellectuels ont développé une réflexion foisonnante sur la manière pour un croyant de vivre sa foi dans un pays non musulman. Ce travail sur soi, qui s'appuie sur l'étude de la tradition et des grands réformateurs, emprunte à la théologie, la sociologie, l'anthropologie voire la psychanalyse et tente de penser l'articulation entre islam et modernité.

 

>>Un islam de minorité

 Ces théologiens réfléchissent au positionnement des musulmans en minorité dans ce que l'on appelait traditionnellement "le pays de la guerre". Actuellement, deux personnages polarisent l'attention. Le plus connu, Tariq Ramadan, développe une réflexion délibérément axée sur l'appropriation par les musulmans de l'héritage européen et réfléchit plutôt en termes de groupes, d'aucuns pourraient parler de communautarisme bien que l'intéressé s'en défende11. Ramadan utilise volontiers la notion de témoignage pour décrire la présence des musulmans en Europe. Ce terme est intéressant car il est directement emprunté à l'église catholique pour qualifier sa présence en terre d'islam. Limam de la mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou, s'intéresse surtout aux pratiques privées et à la manière d'adapter les dispositions du statut personnel aux exigences des sociétés laïques occidentales. II s'agit de construire, fatwa après fatwa, une charia de la minorité, soit le minimum de ce que les musulmans peuvent pratiquer en occident.

 

>> Un islam de proximité

 Les jeunes musulmans préfèrent de beaucoup l'action locale et se méfient des "grandes machines". A cet égard, ils sont très représentatifs de la France des années 2000. Parallèlement l'alliance entre l'islam populaire et l'islam intellectualisé est forte, quasi organique. L'exemple de Tariq Ramadan réunissant des dizaines de lycéens et d'étudiants dans des séminaires organisés par des associations cultuelles en constitue un exemple impressionnant. La consultation des nombreux sites Internet révèle cette volonté de donner aux croyants des informations et des repères pour leur conduite quotidienne.

 

Un thème fréquent résume à lui seul cette alliance organique, celui de l'ancien voyou qui se transforme en prosélyte dans son quartier. Cette attitude irrite les observateurs extérieurs mais elle correspond à un archétype, celui du brigand devenu ermite, que l'on retrouve à la fois dans l'islam classique et dans les formes religieuses très présentes au Maghreb (maraboutisme et culte des saints 12). Les approches collectives n'excluent pas la valorisation de la démarche individuelle qui renoue avec un principe fort de l'islam originel, le contact direct entre le créateur et le croyant. En observant cette évolution, on ne peut s'empêcher d'évoquer la révolution du croire analysée par Marcel Gauchet.

Cette évolution se caractérise par une autonomisation croissante et une individualisation de la pensée religieuse. On assiste à un processus de sécularisation très rapide, conditionné par l'intellectualisation évoquée précédemment. Leïla Babès résume à l'aide de la formule suivante le processus en train de se produire : "l'originalité de l'intellectualisation n'est pas scepticisme ou discours réformiste, mais une exigence de croire qui débouche sur une spiritualisation." 13

Autrement dit, à "l'islam des caves" succède, ou plus exactement se superpose un islam piétiste, à la fois intellectualisé et populaire, avec des cadres dont les comportements ne correspondent pas exactement à ce qu'espérait la république. Cette évolution peut éclairer un certain nombre de situations rencontrées dans des lycées où les équipes enseignantes se trouvent confrontées à des élèves déterminées - les filles semblent jouer un rôle prépondérant - maîtrisant parfois (souvent ?) des connaissances et un art de la dialectique la plupart du temps ignorés des adultes.

 

Le modèle républicain confronté à la revendication d'inspiration religieuse

Dans l'économie générale du système républicain, l'école occupe une place particulière. La situation actuelle résulte d'un équilibre atteint à l'issue d'un. Siècle et demi de lutte entre République et l'Eglise catholique à qui l'Etat avait laissé la mission d'enseigner. La présence de l'islam pose la question d'une manière totalement inédite dans la mesure où cette religion correspond à une mutation de la société française14. A ce sujet, on se contentera de formuler trois remarques.

Les visites d'établissement permettent de constater combien les attitudes adoptées localement pour répondre aux comportements décrits précédemment sont extraordinairement diverses sinon contradictoires. Les optimistes y voient une préfiguration de l'extension des domaines d'autonomie de l'EPLE, les autres constatent que, pour la même situation, les réponses peuvent être différentes voire parfaitement contradictoires. Dans tel établissement, la proviseure interdit le port du voile dès la grille franchie, dans un autre, pas très éloigné, on pourra voir des lycéennes porter des cagoules ajustées y compris en cours de physique ou de chimie15. On peut même considérer que, désormais, dans des agglomérations où vivent de nombreux musulmans, le facteur religieux est intégré dans les processus de choix des familles. Celles qui sont très attachées à la tradition religieuse "choisiront" tel lycée réputé plus souple plutôt que tel autre 16. On retrouve ainsi les stratégies d'évitement utilisées habituellement pour d'autres objectifs.

 

Cette hétérogénéité des réponses constitue une difficulté majeure. On peut se demander parfois si les acteurs du système, personnels d'encadrement, d'éducation et enseignants maîtrisent suffisamment les principes de la laïcité qui leur permettraient de se positionner clairement tant vis-à-vis des difficultés quotidiennes que dans les crises ouvertes. Cette carence se fait désormais sentir avec acuité compte tenu de l'importance du renouvellement important des enseignants se traduisant par l'afflux de nouveaux recrutés. II faudrait au sein de ces nouvelles promotions, accorder une certaine attention aux jeunes enseignants et notamment ceux issus de l'immigration, eux-mêmes de culture arabo-musulmane,

qui peuvent se trouver mis en difficulté par des élèves - et aussi par un environnement professionnel prompt à les considérer comme des intercesseurs - enclins à jouer de la pression psychologique. A cet égard, la recommandation formulée par le rapport de Régis Debray sur l'enseignement du fait religieux, concernant la mise en place d'un module obligatoire dans les IUFM à destination de tous les futurs enseignants, demeure toujours d'actualité.

 

L'hétérogénéité des postures et l'affaiblissement des cadres de référence s'explique bien entendu par les évolutions internes de la société en général donc de l'école. Placés dans un cadre général d'indifférence/tolérance, les acteurs ont perdu l'habitude du recours à la critique intellectuelle. L'accélération de l'évolution s'explique également par la prise de conscience accrue du caractère particulier de la situation française, processus qui se renforce notamment avec l'intégration européenne. C'est d'ailleurs dans ce contexte que les principaux penseurs musulmans européens situent leurs réflexions et de nombreux argumentaires prennent appui sur des comparaisons entre pays voisins. Car, notamment dans les pays de l'Europe du nord, l'articulation entre pouvoir politique et églises s'est construite différemment. Les questions qui nous préoccupent se traitent dans une optique communautariste y compris d'ailleurs dans la Belgique catholique17. Or ces modèles semblent fonctionner et en tout cas, ne pas aboutir à des résultats plus mauvais que le système français sur le plan de l'intégration ou du contrat politique constituant la nation. Il est vrai qu'il est très difficile de procéder à des comparaisons pertinentes en ce domaine, chaque pays ayant construit sa propre conception.

Il est temps de rappeler que les attitudes et les situations évoquées dans cet article ne concernent que quelques milliers d'individus, soit un pourcentage infime des populations de confession musulmane. L'approche choisie induit de mettre l'accent sur les chocs et les crispations. Or ce qui se passe sous nos yeux est beaucoup plus complexe. Il y a interaction entre les statuts, les références et les modes de vie. Dans sa thèse sur la réussite des enfants issus de l'immigration algérienne, Zaïhia Zeroulou met l'accent sur la stratégie familiale dans la réussite de l'enfant. Cette mobilisation passe par un certain arrachement à la tradition, au repli sur soi qui correspond à une rupture relative avec le milieu d'origine 18. Ce processus n'est d'ailleurs pas spécifique à la condition de l'immigré. Annie Ernaux en a exprimé la douleur ressentie par une adolescente d'origine ouvrière dans un livre très émouvant 19.

 

II serait évidemment prometteur et réconfortant de décrire les innombrables bricolages individuels élaborés dans le quotidien d'où émergent peu à peu un nouveau visage de la pratique religieuse20. L'école doit avoir aussi conscience de cette réalité.

 

1-BERQUE, Jacques, Andalousies, Arles, Actes Sud, 1997, 236 p, p 221.

2-RENAN, Ernest, L'islam et la science avec la réponse d'Afghâni, Montpellier, l'archange minotaure, 2003,

56 p. Renan développe la thèse de l'opposition radicale entre islam et science voire instruction. Il argumente à partir de la "fermeture des portes de l'ijtihad"(réflexion personnelle du croyant) au XIème qui rendit très difficile l'exercice de la philosophie.

3-TRIBALAT, Michèle, Faire France. Une enquête sur les immigrés et leurs enfants, Paris, La Découverte, 1F= 225 p ; voir aussi l'enquête IFOP-Le Monde de septembre 1994. Michèle Tribalat vient de publier avec Jeanne-Hélène Kaltenbach un ouvrage très stimulant intitulé La république et l'islam. Entre crainte et aveuglement, Gallimard 2002, 338 pages. On trouvera également des éléments dans le livre d'Emmanuel Todd, Le destin des immigrés. Assimilation et ségrégation dans les démocraties occidentales, Paris, Le Seuil, 1994 391p.

4-Référence au livre utile et tonique de Bruno Etienne, Islam: les questions qui fâchent, Paris, Bayard, 2003, 178p

5-BRENNER, Emmanuel, Les territoires perdus de la République, Paris, Fayard, 2003,

238 p ; Islam, école et identité, dossier publié par Le Monde de l'Education, décembre 2001.

6-BABÈS, Leïla et OUBROU, Tarecq, Loi dAllah, loi des hommes, Paris, Albin Michel, 2002.

7-CHEBEL, Malek, L'imaginaire arabo-musulman, Paris, PUF, 1993, 388 p ; Le corps en islam, Paris, PUF, 1999, 234 p.

8-Ainsi des raisonnements de Tareq Oubrou sur l'excision ou sur le poids du cerveau féminin ; Leila Babe et Tareq Oubrou, Loi d'Allah, loi des hommes, op cit. Les raisonnements adoptés montrent la difficulté à s'extraire de l'interprétation littérale du texte sacré.

9-Pour les musulmans, les juifs et les chrétiens sont des falsificateurs. Rappelons que le Coran retranscrit directement la parole de Dieu alors que l'Ancien et le Nouveau Testament ne sont que des témoignages de seconde main. Les chrétiens sont un peu moins mal considérés que les juifs car ils ont reconnu le prophète Jésus (mais ils l'ont déifié) placé au premier rang par les mystiques soufis. Pratiquement, le Coran exprime des positions contradictoires à l'égard des juifs. Cela peut s'expliquer par la volonté de Mohamed d'englober les tribus juives et chrétiennes dans son projet et les échecs qu'il a rencontrés.

10-Voir le récit de LINHART, Robert dans L'établi au cours duquel son camarade de chaîne lui dit : "Non, ça ne se fait pas, c'est juif ", Paris, éditions de Minuit, 1978, PP 149-150.

11-RAMADAN, Tariq, possède à la fois la légitimité intellectuelle (il est diplômé de philosophie et de théologie), et celle issue de la tradition. Il est le petit-fils de l'égyptien Hassan el Banna, fondateur du mouvement des Frères Musulmans, assassiné par la police politique de Farouk en 1949.

12-Il ne faut pas sous-estimer la persistance jusqu'à maintenant au sein de l'immigration algérienne, des formes d'organisation confrériques notamment chez les migrants berbères, kabyles et oranais (le triangle des saints : Marnia-Tlemcen- Nedromal)

13-BABÈS, Leïla, L'islam positif. La religion des jeunes musulmans de France, Paris, éditions de l'atelier, 1997, 223 p. L'auteur analyse en détail ce processus de réinvestissement du religieux par de jeunes musulmans. Elle explique l'influence des Frères Musulmans par la volonté de ce courant de penser la modernité sociale et politique d'un point de vue musulman.

14-La présence de l'Islam en France n'est pas une nouveauté. L'aventure historique de la colonisation a légué une certaine expérience notamment dans le cas de l'Algérie. Mais il n'est pas sûr que cela constitue un héritage utile en ce domaine. Rappelons que la France en Algérie n'a pas appliqué la toi de 1905 et qu'elle a conservé le système existant avant la conquête tout en le contrôlant étroitement.

15-Ce qui montre que l'interdiction motivée par des motifs sécuritaires se situe sur un terrain qui ne correspond absolument pas à celui choisi par les lycéennes ou leurs familles. Interdire le port de ces cagoules fabriquées pour cet usage spécifique au nom de la sécurité n'est plus crédible.

16- Ces comportements se sont par exemple développés dans l'agglomération de Lille-Roubaix-Tourcoing où les familles ont de fait le choix entre trois systèmes, les établissements publics, les établissements privés sous contrat et le système scolaire belge. Bien entendu, ces stratégies sont surtout le fait des milieux de la classe moyenne. Quand à l'ouverture du lycée musulman à la rentrée 2003, elle est surtout à interpréter comme une démarche interne destinée à assurer la prééminence de la mosquée de Lille sud (et de son recteur) au sein de la communauté musulmane régionale.

17- On reprendra bien sûr la distinction entre pays catholiques et pays protestants. Dans les premiers, la séparation de l'Eglise et de l'Etat n'a pu se réaliser que par "une intervention volontariste, voire chirurgicale" selon l'expression de Marcel Gauchet (La religion dans la démocratie, Paris, Gallimard, 2002, 173 p, p 191, alors que dans les seconds, le processus d'autonomisation s'est produit au sein de la sphère religieuse. Quant à la Belgique catholique, il s'agit d'un puzzle de communautés où les citoyens se définissent largement par leur appartenance à différents ensembles, on s'y réclame explicitement d'un groupe linguistique, d'une confession et d'une appartenance politique et syndicale qui détermine l'insertion dans la société (mutuelles, hôpitaux, institutions diverses). L'approche communautaire y trouve un accueil favorable.

18-ZEROULOU, Zaïhia, La réussite scolaire des enfants d'immigrés. L'apport d'une approche en termes de mobilisation, Revue française de sociologie, XXIX, 1988, pp 447 à 470. "Les attitudes mobilisatrices des parents sont le produit de trajectoires impliquant une rupture avec les pratiques du pays d'origine et celles de la communauté immigrée".

19-ERNAUX, Annie, La place, Paris, Gallimard, 1986, 114 p, "J'ai fini de mettre au jour l'héritage que j'ai dû déposer au seuil du monde bourgeois et cultivé quand j'y suis entrée", p 111.

20-C'est dans la question des inhumations que l'on peut constater une évolution rapide des attitudes mais il vrai que cela passe par l'instauration des carrés musulmans

cf. CHAÏB, Yassine, L'émigré devant la mort. La mort musulmane en France Edisud, 2000.

cf. GENTY, Jean-René, La terre, les pierres et les morts. Evolution de l'inhumation des migrants de confession musulmane dans les cimetières du Nord/Pas-de-Calais, in Regards croisés, l'immigration dans le Nord/Pas-de-Calais, Béthune, documents d'ethnographie régionale du Nord/Pas-de-Calais, n°12, 2002, 191 p.

 


 

Article de Jean-René Genty.*

La lettre de DMA (Association des amis d'Abdelmalek Sayad).

N°9- Novembre 2004

D'un monde à l'autre, Institut social Lille Vauban.

 

"L'ART DU RÉCIT DE VIE" LA DÉMARCHE DE CHISTORIEN FACE AUX TRAVAUX DE SAYAD

Il est des auteurs que l'on découvre plus ou moins tardivement. Ce fut le cas, en ce qui me concerne, d'Abdelmalek Sayad. Travaillant alors sur les premières vagues de migrants venus dans la région, j'avais plutôt privilégié les observateurs contemporains de ces arrivées comme Octave Depont, Robert Montagne, Pierre Laroque, Louis Chevalier ou encore JeanJacques Rager. Tous ces auteurs observèrent et analysèrent le mouvement migratoire avec un regard colonial

Vint la découverte des travaux d'Abdelmalek Sayad. Cette rencontre avec une œuvre à laquelle on accède par de multiples entrées fut déterminante. L'approche adoptée par l'analyste consistait à se placer au sein même du mouvement migratoire et à proposer une description dynamique insistant sur les causes du départ et sur la difficulté de vivre ailleurs.

Au fil de travaux historiques menés dans un cadre monographique, la référence à trois éléments présents dans l'ceuvre d'Abdelmalek Sayad s'imposa de manière récurrente :

Dans " Les trois âges de l'émigration ", le sociologue décrit et modélise la manière dont le mécanisme migratoire s'est enclenché, organisé puis modifié tout au long du XXème siècle. " C'est ainsi qu'à chacune des deux grandes périodes de l'histoire récente de la société rurale algérienne, chacun des deux états successifs des structures tes plus fondamentales de l'économie et de la pensée paysanne ainsi que de tout l'ordre social du monde rural, correspond à un " âge " distinct de l'émigration, c'est-à-dire un mode de génération différent de l'émigration et une " génération " différente d'émigrés ". Certes, certains aspects de cette réalité avaient été décrits dans des textes antérieurs comme l'article de Robert Montagne sur l'émigration nord-africaine, mais ceuxci ne revêtaient pas la même force d'analyse et d'évocation2 Ces textes demeuraient profondément imprégnés de rhétorique coloniale'. Ce modèle des trois âges se structure à partir des données démographiques que l'on peut recueillir par exemple dans les communes de l'ex bassin minier. On voit ainsi, à partir des registres de recensement, se dérouler le mécanisme à travers les mêmes familles, les mêmes lignées.

- une modélisation de la dynamique de l'émigration algérienne exposée dans "Les trois âges de l'émigration"1;

- un concept issu de la culture même de l'émigré qui désigne la condition d'immigré, el ghorba ;

- un outil utilisé au cours de la procédure d'enquête mais faisant aussi partie de l'analyse du sociologue : le récit de vie.

Le second élément déterminant fut la notion d'el ghorba. Ce terme désigne à la fois le départ, l'exil et l'arrachement, la condition de l'émigré qui a quitté le village natal, la " petite patrie ". " Dans la logique traditionnelle, la vérité d'el ghorba est d'être associé au " couchant " ; à l'obscurité ; à l'éloignement et à l'isolement (parmi les étrangers, donc à leur hostilité et à leur mépris) ; à l'exil; à la frayeur (celle que suscite la nuit et le fait de se perdre dans une forêt ou une nature hosti-

'Sayad Abdelmalek, "La double absence. Des illusions de l'émigré aux souffrances de l'immigré ", Paris, Seuil, 1999, 439 p.

ZMontagne Robert, "L'émigration nord-africaine en. Son caractère familial et villageois ", "Hommages à Lucien Febvre ", Paris, A. Colin, 1953, 452 p.

3Je n'oublie pas bien entendu la rupture radicale représentée par la publication de la thèse d'Andrée Michel

le) à l'égarement (par perte de sens de l'orientation) au malheur, etc "4. Mais el ghorba désigne aussi, dans les récits des migrants, le pays d'accueil rêvé, idéalisé, présenté à ceux qui sont restés. L'ambiguïté est

 

 

le temps valeur de témoignage historique. On peut citer le récit autour duquel s'organise le texte intitulé " La " faute " de l'absence "6. La personne narre un parcours d'émigration qui démarre en 1953 et qui se

"L'immigration algérienne dans le Nord Pas de Calais", 1909-1962

Alors que la région du Nord/Pas de Calais est une terre de vieille immigration, cette ancienneté s'est estompée dans le souvenir. II faut donc retrouver les fils conducteurs d'une histoire intimement liée à celle de la population. A l'heure où l'information immédiate se focalise sur des événements ou des faits qui font peur et qui engendrent la méfiance, le recours à l'histoire permet de restituer les parcours, les apports et de cerner les enjeux de la présence des migrants originaires d'Algérie.

ou un autre, " firent l'histoire ". Comment ne pas utiliser ces références et ces clés d'interprétation quand on suit le parcours d'un jeune kabyle qui arrive à 25 ans comme mineur à Liévin, puis monte peu à peu dans la hiérarchie du PPAMTLD, pour terminer comme l'un des cinq " fédéraux " de la fédération de France du FLN et à ce titre organiser la manifestation du 17 octobre 1961. Le destin de celui qui s'appelait Pedro dans la clandestinité renvoie aussi à ces catégories. On peut également évoquer le destin de ce jeune interprète venu travailler en 1917 aux mines de SaintEtienne, qui monte ensuite vers celles du Pas-de-Calais, deviendra l'un des entrepreneurs en travaux publics les plus importants de la région et dont le souvenir demeure vivace.

constante. Un écrivain, Mouloud Feraoun, avait évoqué cette condition, ce climat particulier dans des textes qui devaient demeurer5.

Dans ses textes, Abdelmalek Sayad a fréquemment recours à une démarche qui consiste à présenter un récit de vie qui lui permet à la fois de développer un itinéraire individuel et d'amener le lecteur à retrouver, à partir de ce parcours, le général, voire l'universel. Le récit de vie ne sert pas à illustrer le propos de manière un peu annexe, mais il occupe une place centrale dans la démonstration. L'analyste part de ce récit reproduit in extenso. Cette pratique et les résultats qu'elle donne interpellent évidemment l'historien. Autrement dit, l'approche quantitative, nécessaire, n'est pas suffisante. Les récits de vie et les approches biographiques constituent aussi une source incontournable. D'ailleurs, certains des textes recueillis par Abdelmalek Sayad, ont acquis avec

4 Sayad Abdelmalek, " Elghorba ", " L'immigration ou les paradoxes de l'altérité ", Bruxelles, De Boeck université, 1991, 331p, p 47.

SMouloud Feraoun, " La terre et le sang ", Seuil, 1993, l'oeuvre de Slimane Azem qui ne parle que de cet exil.

6La " faute " de l'absence ", " L'immigration ou les paradoxes de l'altérité ", opus cité, p 111.

254 p. Mais il ne faut pas oublier toute

déploie entre Roubaix, les villes du bassin minier et Saint-Dizier. Parcours assez emblématique, similaire à celui suivi par des milliers d'hommes qui allaient de ville en ville pour trouver du travail au début des années cinquante. Le travail du sociologue saisit à travers cette situation particulière ce qu'ont été l'itinéraire et le destin de milliers de migrants que l'historien retrouve dans des données statistiques. Comment ne pas rapprocher ce parcours d'autres, connus ou inconnus. On pourrait ainsi évoquer ces situations qui apparaissent à travers l'enquête de 1923 ou encore celles décrites par les secrétariats sociaux auprès de l'évêque de Lille en 1952. Ces parcours, on peut les rattacher, les expliquer, les éclairer à partir des outils d'analyse élaborés par Abdelmalek Sayad.

A côté des parcours des inconnus, l'historien peut et doit s'intéresser aux itinéraires de ceux qui, à un titre

Ainsi se met en place, de manière naturelle, un va et vient constant entre la lecture des archives, au fur et à mesure de leur découverte, et les textes du sociologue. Les seconds servent de repères et les premiers illustrent et montrent le caractère opératoire des premiers. Peu à peu, le lecteur pénètre une aeuvre complexe et riche et découvre sans cesse de nouveaux outils lui permettant d'aller plus avant dans l'exploration des archives et des témoignages.

Mais le sommet de l'art est sans doute atteint dans l'article intitulé " La lettre : A Madame, encore à boire ". S'il est un texte qui permet de prendre conscience de l'art du sociologue, c'est bien celui-là. A partir d'une chanson de Slimane Azem, le rossignol de Kabylie, Abdelmalek Sayad élabore une vision saisissante de l'exil, de la solitude et de l'absence. II n'est pas seulement un sociologue, il fait partie de ces écrivains dont on emporte toujours un livre avec soi.

J.R. G

*Jean-René GENTY

Inspecteur Général de l'Administration de l'Education Nationale et de la Recherche


Article paru dans la Revue d'Histoire : Outre-Mers, 1er semestre 2004, N°342-343

Un tournant de la " Bataille de Paris " : l'engagement de la Force de police auxiliaire (20 mars 1960).

Rémy Valat*

 

Les sources d'archives citées en référence appartiennent toutes aux fonds la série H " Guerre d'Algérie-Décolonisation " des archives de la préfecture de police. Les photographies proviennent de fonds privés et ont été reproduites avec l'aimable autorisation du lieutenant-colonel Raymond Montaner. Les investigations dans les archives ont été complétées par la collecte de témoignages .

 

1. Les sources et état de la question.

Le contexte parisien de la guerre d'Algérie n'est essentiellement connu qu'au travers du prisme déformant des événements d'octobre 1961. Les manifestations des 17, 18 et 20 octobre 1961 ont fait l'objet de diverses publications et de travaux universitaires ou journalistiques . Les auteurs de ces écrits s'intéressent principalement à la situation particulière des derniers mois du conflit à Paris, au déroulement des manifestations et au nombre des victimes à attribuer à la police ou aux règlements de comptes entre le Mouvement nationaliste algérien (MNA) et le Front de libération nationale (FLN). En périphérie de ce sujet controversé se situe la Force de police auxiliaire, unité supplétive rattachée à la préfecture de police vivement critiquée dès les premiers mois de son engagement . L'accès généralisé aux archives de la guerre d'Algérie et les premiers travaux de M. Jean-Paul Brunet et de Melle Linda Amiri ont ouvert la voie. Ces chercheurs abordent partiellement le sujet, mais sans l'approfondir, car celui-ci se situe en périphérie du thème principal de leurs recherches. Ces derniers ont eu l'accès pour leur rédaction aux dossiers des archives du cabinet du préfet et du Service de coordination des Affaires algériennes, conservés par le service des archives et du musée de la préfecture de police, et qui constituent l'essentiel de la documentation utilisée pour cet article. N'ayant pu jusqu'à présent consulter les archives de la Fédération de France du FLN, probablement dispersées dans divers fonds privés, l'analyse du comportement interne du Front ne s'appuie que sur quelques rapports et documents saisis par la police. Néanmoins, les précieux témoignages de policiers auxiliaires permettent un éclairage sur ce point, puisque certains d'entre eux - ceux résidant en région parisienne - cotisaient sous la contrainte et ont appartenu de facto à l'organisation. Le récit des officiers et des hommes de cette unité sont d'un apport inédit : ils complètent avantageusement le contenu, pourtant très complet, des archives. La minutieuse confrontation des témoignages et des archives publiques ouvre un chantier historique en grande partie inexploré qui pourrait lever le voile sur la " Bataille de Paris " en la situant dans son exacte durée historique, mais aussi et surtout en dépassant l'aspect douloureux, mais scientifiquement restrictif, des violences à impartir aux deux camps en lutte. L'affrontement entre la Force de police auxiliaire et les groupes armés du Front de libération nationale s'est déroulé dans une ville qui saisit mal la réalité de cette guerre. Il existe d'une part des militants algériens et des policiers auxiliaires qui se livrent à un combat sans merci et d'autre part, une population qui en perçoit les échos ou assiste parfois aux manifestations de violence des belligérants sans réellement les comprendre.

 

2. Le contexte parisien de la guerre d'Algérie.

A partir de 1956, la préfecture de police cherche à démanteler l'organisation politico-administrative (OPA) du FLN dans le département de la Seine. Les services actifs de la police parisienne parviennent, en collaboration avec la Direction de la Sûreté du Territoire (DST), à désorganiser temporairement le parti nationaliste, sans l'anéantir. Les arrestations de cadres supérieurs de l'OPA, bien que spectaculaires, demeurent sans effet face à une structure sans cesse renaissante. Ainsi, l'arrestation de Tahar Arkoub et des dirigeants de la wilaya de Paris-Centre en novembre et décembre 1959 décapite provisoirement l'organisation dans la capitale. Ces opérations permettent la saisie de documents importants et l'arrestation de militants par la DST et la préfecture de police. Mais le mouvement parvient à se structurer à nouveau et à promouvoir de nouveaux cadres. Uniquement orientés vers la répression des manifestations du nationalisme algérien (attentats, manifestations sur la voie publique, grèves…), le gouvernement et la préfecture de police n'apportent pas de solution à ses motifs. La police parisienne ne fait pas son profit des avantages conférés par les divisions qui opposent les deux branches rivales de l'indépendantisme algérien - FLN et MNA. Entre les mois d'août et décembre 1957, période paroxystique du conflit entre nationalistes, le FLN s'impose militairement sur le MNA en métropole. L'affaiblissement du MNA est également sensible dans le département de la Seine. Le mouvement perdure difficilement en province, où le messalisme conserve quelques bastions , mais dans la capitale, le MNA est réduit à la défensive, dans des secteurs d'implantation réduits . Cette guerre civile fera en France, selon les chiffres officiels, entre le 1er janvier 1956 et le 23 janvier 1962, 10 223 victimes (dont 3 957 tués) . Ces affrontements prennent la forme, selon le vocabulaire nationaliste et policier, de sanctions et de règlements de comptes internes entre les deux partis nationalistes.

 

3. La préfecture de police et la guerre subversive : de l'émergence de la stratégie ternaire à la nécessité de constituer une force de police supplétive (1956- juillet 1959).

A partir de 1956, la préfecture de police adopte une stratégie défensive alliant la collecte d'informations sur les organisations nationalistes - reposant sur la divulgation de renseignements internes par des indicateurs - et l'arrestation des cadres et des militants du FLN et du MNA. En collaboration avec le Service de coordination des informations nord-africaines du ministère de l'Intérieur (SCINA) , la préfecture de police transmet et reçoit des renseignements - en provenance parfois des départements métropolitains et algériens - concernant les membres des organisations nationalistes agissant dans sa circonscription administrative. Le volet répressif est confié à la Brigade des agressions et des violences (BAV) de la direction générale de la Police judiciaire, unité créée en 1953, qui se spécialise progressivement dans la prévention et la répression de la délinquance et du nationalisme nord-africain. La BAV bénéficie, au même titre que l'ensemble de la police métropolitaine, d'un renforcement de ses moyens légaux en matière répressive, par l'application de la loi du 26 juillet 1957, qui élargit les pouvoirs spéciaux, jusqu'alors exercés en Algérie, à la métropole. L'exécution des dispositions de ce texte se traduit, en matière de police judiciaire, par un pouvoir de perquisition diurne et nocturne et d'assignation à résidence des personnes suspectées déjà sanctionnées par une condamnation pénale (néanmoins celle-ci doit être postérieure à la date de promulgation de ladite loi). Jusqu'en 1958, la préfecture de police utilise une stratégie binaire reposant sur le diptyque renseignement/répression, lui même assis sur la possibilité d'un éloignement. Ce dernier n'est pas préventif, il vient sanctionner un délit.

En mars 1958, le nouveau préfet de police, Maurice Papon, réorganise promptement les services en appliquant une doctrine plus adaptée au domaine de la guerre subversive. Les mouvements nationalistes aspirent à contrôler une population immigrée source de revenus pour le mouvement, mais également - et surtout - source de légitimité politique. L'enjeu pour chacun des protagonistes est le contrôle, voire l'adhésion volontaire ou forcée des 150 000 Algériens résidant et travaillant dans le département de la Seine. A cet effet, le préfet de police adopte une stratégie de reconquête de la population, inspirée des méthodes de guerre psychologique utilisée en Algérie et auparavant, en région parisienne par le Service de surveillance et de protection des indigènes nord-africains (SAINA), service de la préfecture de police, créé en 1926 et dissous en 1945 .

 

Maurice Papon développe une stratégie en trois volets :

1) L'action psychologique et sociale/renseignement.

2) L'action répressive.

3) La neutralisation par l'éloignement des nationalistes les plus actifs et la protection des personnes menacées de mort par le FLN.

 

L'action psychologique et sociale s'organise, sous forme embryonnaire, à partir du mois de juin 1958 . La préfecture de police effectue des opérations inédites de contrôle de salubrité dont le souci est autant de veiller aux conditions sanitaires des immigrés que de contrer l'action des comités d'action sociale et d'hygiène du FLN. Après une première expérience dans le 15ème arrondissement (où est installée une permanence d'aide administrative et sociale), il est décidé d'étendre à l'ensemble de la métropole un service d'action psychologique coordonné par une structure idoine. Le Groupe de travail et d'action psychologique (GAP) , créé à l'initiative de la présidence du Conseil, est à l'origine de la constitution du Bureau de renseignement spécialisé (BRS), puis du Service d'assistance technique aux Français musulmans d'Algérie (SAT-FMA) à la préfecture de police, et plus généralement de la mise en place pour l'ensemble du territoire métropolitain du Service d'assistance technique (SAT) . Bien que chargés d'une action de surveillance et de contrôle , les 4, puis 6 après octobre 1959, bureaux de secteurs du SAT-FMA veillent aussi au bien être des populations en leur facilitant notamment la délivrance de documents administratifs (cartes d'identités, passeports, autorisations de voyage vers l'Algérie…) et en octroyant des aides financières, voire en aidant les sans emplois à trouver un travail. Le commandement de ce service et des antennes de secteur est confié à des officiers des Affaires algériennes, détachés auprès du préfet de police. D'une manière générale, Maurice Papon substitue au concept panoptique (et unilatéral) de la surveillance et du renseignement le concept synoptique du renseignement par l'action psychologique et sociale.

 

Dans un souci de meilleure collaboration des services et d'efficacité, reprenant ainsi le projet non retenu à l'origine de la constitution du SCINA d'adjoindre un volet répressif à son action de renseignement, le préfet de police ratifie le 23 août 1958 l'arrêté de création du Service de coordination des affaires algériennes (SCAA). Sous la direction du cabinet du préfet, le SCAA coordonne à partir de cette date l'action des services - existants et nouveaux -spécialisés dans la lutte contre le nationalisme algérien. Outre le SAT-FMA et la section de renseignement , le SCAA supervise les opérations d'unités actives : la BAV et ses deux sections (enquêtes et voie publique), la 8ème brigade territoriale (8ème BT), unité territoriale de police judiciaire, les équipes spéciales de district (composée d'éléments en civil chargés de la surveillance des milieux musulmans), et à partir du 1er décembre 1959, la Force de police auxiliaire (FPA), appelée également Force auxiliaire de police (FAP) .

 

A partir de la promulgation de l'ordonnance du 7 octobre 1958, le préfet de police bénéficie du pouvoir d'internement préventif des " individus dangereux pour la sécurité publique, en raison de l'aide directe ou indirecte qu'ils apportent aux rebelles des départements algériens ". A ce titre, le SAT-FMA est chargé de la gestion administrative des centres d'internements (c'est-à-dire le centre de Vincennes) et de leur inspection à la demande du ministère de l'Intérieur (pour les centres de Vadenay et de Saint Maurice l'Ardoise). Il veille aussi à la protection des individus menacés par le FLN, et à ce titre administre un centre regroupant cette catégorie de personnes au fort de Nogent.

 

La particularité du SCAA est d'intégrer les trois volets de la nouvelle stratégie. Cette intégration est le principal atout de ce service ; elle permet structurellement l'exploitation quasi-immédiate des informations recueillies par l'exécution rapide d'opérations de police, et la neutralisation des nationalistes les plus actifs par l'internement administratif ou l'éloignement. Le principe de coordination des services dans le cadre de la lutte anti-terroriste inspiré par le SCAA, sera repris dans les mois suivants par la préfecture de police et le ministère de l'Intérieur dans le cadre de la lutte contre l'Organisation de l'Armée secrète (OAS). Le service ad hoc, créé en décembre 1961, sera baptisé : Bureau des liaisons (BDL) . Le principe de coordination des services en matière de renseignement est un phénomène récurent de la période du conflit algérien .

 

Cependant, entre août 1958 et mars 1960, cette doctrine ne permet pas l'obtention des résultats escomptés, et ceci malgré l'amélioration de l'efficacité des services actifs du SCAA, constatée en 1959. La préfecture de police ne parvient pas à prendre l'initiative. La transition se concrétise en mars 1960, avec l'engagement d'une force supplétive de police de recrutement arabe et kabyle. Cette unité devient, dès son activation, le fer de lance du SCAA. Les raisons de son efficacité sont multiples, mais la principale est structurelle : la police supplétive est la concentration, en une seule formation, de la presque totalité des procédés opérationnels de son service de tutelle. Elle regroupe à elle seule les trois volets de la stratégie ternaire. Outil de renseignement et d'action psychologique, elle infiltre efficacement les réseaux du FLN et organise des réunions de propagande dans les cafés arabes. Outil répressif, elle met sur pied des opérations de police dans la capitale (patrouilles et rafles). Outil de neutralisation, elle assure en outre le transfert des interpellés au centre d'internement de Vincennes, et veille, par l'intégration dans ses rangs, à la protection des individus menacés (souvent des anciens cadres du FLN ralliés ou des personnes ayant communiqué des renseignements). Egalement conçue comme une unité de lutte anti-terroriste et d'infiltration, la police auxiliaire voit ses pouvoirs légaux limités à ceux de la police municipale, ce qui, au lieu de lui ôter des prérogatives, lui confère au contraire une plus grande capacité opérationnelle (notamment en matière de contrôle dans les lieux publics). Néanmoins, cette unité est conçue pour opérer en toute légalité dans le cadre du SCAA. En effet, l'exploitation des renseignements réunis par la police auxiliaire nécessite obligatoirement une validation judiciaire ce qui explique la participation conjointe de la BAV ou de la 8ème BT lors des perquisitions. C'est pour ces raisons que, la FPA est constituée au cours de l'été et de l'automne 1959. Elle est l'aboutissement de la nouvelle doctrine de la préfecture de police, que nous appellerons la " stratégie ternaire intégrée ".

 

4. La genèse de la Force de police auxiliaire : du bidonville de Nanterre au fort de Noisy (juillet 1959-mars 1960).

 

La FPA est un makhzen, c'est-à-dire un élément de police supplétive composé de mokhaznis, recrutés comme fonctionnaires contractuels et chargés d'assumer des opérations de police sous les ordres d'officiers des Affaires algériennes. Charles-Robert Ageron définit ces unités comme des groupes semi-militaires en charge de la protection des sections administratives urbaines (SAU) sous la direction de l'administration civile française des Affaires algériennes . A l'identique, le makhzen parisien dépend administrativement du Secrétariat général des Affaires algériennes, c'est-à-dire directement du cabinet du Premier ministre, et mis à la disposition du préfet de police pour les aspects opérationnels. La FPA doit également compléter l'action psychologique et sociale du SAT-FMA. Cependant, cette création ne constitue pas un précédent. Déjà, en avril 1956, le ministre-résidant Robert Lacoste fixa, à l'aide d'une circulaire, les règles de création et d'organisation de cette catégorie de policiers ayant une mission de maintien de l'ordre. En métropole, le préfet de la Drôme, Ghisolfi, constitua à Valence, dès 1957, une formation de policiers supplétifs algériens en civil .

 

L'idée de constituer une Force de police auxiliaire appartient au capitaine Raymond Montaner, chef du 1er secteur du SAT-FMA à Nanterre. Ce dernier, ancien officier de spahis , conseillé par un habitant du bidonville de Nanterre développa l'idée de l'organisation d'une " harka " . L'officier fît part de son projet au capitaine Cunibile, l'adjoint du commandant du SAT-FMA, et aux cinq autres chefs de secteurs, lors d'un entretien informel consécutif à une des réunions hebdomadaires des officiers du SAT . Peu après, il rédige un exposé des motifs détaillé qu'il adresse à l'état-major du SAT-FMA, le 5 juillet 1959. Son mémoire intitulé " Destruction de l'organisation rebelle dans le département de la Seine. Une solution, la seule ! " détaille les orientations souhaitables pour donner l'initiative aux forces de l'ordre. Ce rapport met l'accent sur la nécessité de détruire l'organisation répressive du FLN qui entrave l'action psychologique et sociale initiée par la préfecture de police. Il propose dans ce but la constitution d'une force de police supplétive chargée de contrer le bras armé du FLN : l'organisation spéciale (OS) . Le makhzen serait composé d'agents doubles, l'équipe invisible et de compagnies apparentes, en uniforme, positionnées dans les quartiers à forte implantation nord-africaine. Le 29 juillet 1959, le préfet de police adresse au ministre de l'Intérieur, un projet reprenant cet exposé. Le 18 septembre suivant se tient au cabinet du Premier ministre, Michel Debré, une réunion à laquelle participe Maurice Papon. Le Premier ministre accepte la constitution de l'unité, mais en limite le budget de fonctionnement et les effectifs : le " Service de protection des travailleurs algériens dans la métropole " - appellation initiale de la Force de police auxiliaire - doit tout d'abord être expérimenté dans le département de la Seine avant d'être étendu à l'ensemble du territoire. La police supplétive, à l'instar des SAT un an auparavant, doit être expérimentée dans le département de la Seine avant toute application nationale. Lors du conseil interministériel du 28 septembre 1959, la création de l'unité est confiée au préfet de police en liaison avec le Secrétariat général aux Affaires algériennes . Le projet est retenu notamment en raison de son caractère " absolument complémentaire du refoulement sur l'Algérie " . Au cours de l'automne 1959, le makhzen est en cours de constitution. Un premier contingent de policiers auxiliaires est recruté en Algérie (principalement à Alger). Coïncidence ou volonté opérationnelle, cette création est concomitante aux tentatives visant à employer des musulmans contre le FLN en métropole . Le capitaine Montaner ne semble pas être informé des divers projets de l'entourage du Premier ministre à ce sujet . La décision n°5096 du 25 novembre 1959 du secrétariat général pour les Affaires algériennes décide qu'un contingent de " 400 agents contractuels musulmans " sera mis à partir du 1er décembre 1959, à la disposition du préfet de police. Ce rattachement administratif témoigne du contrôle direct que souhaite avoir le cabinet du Premier ministre, via le Secrétariat d'Etat des Affaires algériennes qui lui est rattaché, sur cette force supplétive embryonnaire d'une " troisième force ". Le 28 décembre 1959, le premier détachement de 92 hommes (dont 82 recrutés à Alger - pour la plupart du Clos Salembier, ancienne SAU du capitaine Montaner - et 10 en région parisienne) est installé au fort de Noisy à Romainville. L'instruction commence le 4 janvier 1960. La constitution de la FPA inquiète l'état-major parisien du FLN qui met en œuvre des opérations de renseignement pour connaître l'organisation de l'unité. Des agressions sont commises contre les policiers auxiliaires en permission. Un stagiaire sera gravement blessé par balle à la tête en février 1960, non loin de la place Pigalle , un autre retrouvé mort dans la Seine . L'entraînement s'accompagne d'opérations ponctuelles visant à tester la valeur opérationnelle des supplétifs. Le 17 mars 1960, un groupe de policiers auxiliaires participe à une opération combinée en collaboration avec la police municipale dans les localités de Montreuil et de Bagnolet. Après les premières opérations d'infiltration, l'unité visible peut être engagée.

 

5. L'engagement de la Force de police auxiliaire : prise d'initiative et démantèlement de la région 1 221.

 

Le démantèlement de la région 1221, sise dans le quartier de la Gare (13ème arrondissement), est dicté par les gains psychologiques que la préfecture de police espère retirer, en amenuisant l'emprise du FLN sur un quartier à forte implantation musulmane, qui fut parmi les premiers à être gagné à la cause du nationalisme algérien . Son but principal est d'interrompre les collectes financières du FLN dans l'arrondissement. S'appuyant sur de nombreuses informations regroupées par la section de renseignement, probablement à partir des archives de la wilaya de Paris-Centre récupérées en décembre 1959, le préfet de police espère déstabiliser l'adversaire par le caractère soudain et imprévu d'une implantation de la FPA dans ce quartier. Cette opération est un essai, la préfecture de police évite dans un premier temps de mener une action directe contre la zone 1112 du 18ème arrondissement (quartier de la Goutte d'Or). L'opération dans le 13ème arrondissement est la première effectuée par la FPA, et doit pour cela être menée dans des conditions optimales. La faiblesse numérique de l'unité et la crainte d'une usure rapide, imposent ce choix. Il s'agit d'une opération test . Le 13ème arrondissement correspond dans l'organisation administrative du FLN à la région 1.221 . Celle-ci comporte " 3200militants, adhérents et sympathisants (sur une population algérienne de 3 500 à 4000 individus) répartis en 7 secteurs, 17 kasmas, 49 sections, 115 groupes, 64 fractions et environ 660 cellules. Les commerçants, au nombre de près de 170, soit la presque totalité des exploitants algériens de cafés-hôtels-restaurants (24), cafés-hôtels (36), hôtels (13), cafés-restaurants (11), cafés (10), épiceries (17), coiffeurs (6) ainsi que les marchands ambulants, artisans, chauffeurs de taxis, etc… sont organisés en 3 sections, 7 groupes et 33 cellules. La population algérienne de l'arrondissement étant estimée à 3700 personne, y compris femmes et enfants, on peut admettre que plus de 70% d'entre elles apportent volontairement ou non leur cotisation au FLN. La somme collectée au mois de novembre dernier se serait élevée à près de 20 millions d'anciens francs répartis comme suit :

- Cotisations : près de 9.500.000. francs,

- Dons : près de 8.000.000. de francs,

- Amendes : 135.000. francs,

- Versement des commerçants : 2.230.000. francs .

 

Le contexte stratégique est également favorable. La nouvelle orientation politique du chef de l'Etat et les contacts pris par celui-ci avec des représentants du FLN laisse à l'état de latence le danger terroriste. La relative accalmie est propice à l'installation de la nouvelle unité. Mais elle n'est pas sans risque, puisque l'organisation spéciale ne cesse, malgré les nombreuses saisies d'armes, de pourvoir à son ravitaillement et à son recrutement.

 

C'est pourquoi, le dimanche 20 mars 1960, entre 4 heures et 5 heures et quart du matin, la FPA s'installe dans des hôtels bastions du FLN dont les locataires ont été évacués par la police municipale pendant la nuit. Lors de l'implantation, une centaine de policiers auxiliaires s'installent dans six hôtels frappés par une mesure administrative de fermeture . La police municipale protège la zone, tandis que les policiers auxiliaires prennent sommairement possession des locaux et détachent les premières patrouilles de reconnaissance dans le secteur qui leur est assigné . Les effectifs se divisent par groupes de trois : le premier groupe protège le lieu de cantonnement de la section, le deuxième est de service dans la rue dans sa zone d'opération et le dernier est de repos .

 

L'offensive se déroule en deux temps :

 

- La première phase, d'une durée approximative d'un mois, consiste - à partir des informations préalablement connues - à neutraliser la kasma locale et à sécuriser le secteur d'implantation. La neutralisation vise à l'arrestation et à la conduite au centre d'internement de Vincennes des cadres locaux de l'organisation, et à l'infiltration des réseaux nationalistes du quartier. L'opération a essentiellement pour but d'interrompre la collecte du secteur et à perturber le fonctionnement administratif du FLN dans l'arrondissement. La sécurisation a pour but de protéger les populations et les soustraire de l'emprise du FLN afin de nouer des relations privilégiées avec elles. Ces contacts ont aussi un but préventif, car l'assurance d'un réseau de soutien est utile pour anticiper les attaques auxquelles s'expose l'unité.

 

- La deuxième phase, est celle de l'exploitation de l'offensive par la désorganisation des bases arrières de proximité de l'arrondissement, notamment le 14ème arrondissement et Vitry-sur-Seine, et à l'exécution d'une série d'opérations d'infiltrations et de patrouilles dans des arrondissements parisiens de plus en plus éloignés du 13ème arrondissement et de Romainville .

 

La neutralisation s'opère dès les premiers jours. La FPA limite son action visible aux contrôles d'identité et à l'envoi à l'antenne SAT des personnes en situation irrégulière . En revanche, l'activité parallèle est promptement efficace. Dès le 21 mars, trois membres de l'organisation nationaliste sont arrêtés . Pendant la nuit du 23 au 24 mars, des descentes dans les hôtels et meublés de l'arrondissement, conduites en collaboration avec la BAV, permettent grâce aux indications fournies par un cadre frontiste, l'interpellation de six membres de l'OPA et la saisie de documents importants . Ces rafles obligent les cadres de l'organisation à quitter l'arrondissement . Bénéficiant de l'effet de surprise et d'informations préalables, le capitaine Montaner met immédiatement en place un réseau d'informateurs et donne une grande liberté d'action à chacun de ses chefs de sections pour obtenir un maximum de renseignements auprès des gérants d'hôtels. Les chefs de section retournent, selon le vocabulaire policier, quelques individus transmettant des informations d'ambiance . Ces infiltrations donnent des résultats probants. Ces agents placés dans les hôtels et dont la collaboration est souvent spontanée apportent quotidiennement des renseignements. Les indicateurs sont majoritairement des commerçants et des gérants d'hôtels : sur une liste de 7 indicateurs, dont la profession a pu être clairement identifiée par les officiers de la Force de police auxiliaire, 4 sont gérants de cafés-hôtels, 1 est épicier et 2 travaillent dans le secteur secondaire . En un mois, la désorganisation, qui s'accélère à partir du 23 avril, affecte les structures locales du FLN . Les arrestations initiales, et les indications obtenues à leur suite, ont un effet accélérateur du démembrement, car la plupart des interpellations entraînent à leur tour des " dénonciations en chaîne " . Ainsi, " dans la journée du 25 [avril], trois sections de kasmas différentes ont été anéanties en exploitant les renseignements obtenus à la suite d'une arrestation unique. D'autre part, le ralliement d'un chef de section a permis de localiser immédiatement, l'implantation de son unité et de connaître les noms et adresse du chef de kasma, ainsi que ceux d'autres chefs de sections " . Les ralliements sont importants : trois cadres subalternes du FLN collaborent avec la police auxiliaire. Certains d'entre eux, dont le chef de secteur du 14ème arrondissement, seront intégrés dans la FPA.

 

Après l'arrestation, les interrogatoires permettent, auprès des militants peu coopératifs, de recueillir des données sur l'organisation nationaliste. Toutefois, ces derniers ne peuvent être menés avec une efficacité optimale en raison du grand nombre d'arrestations quotidiennes effectuées sur la voie publique ou lors d'opérations de police. Les interpellés sont rapidement interrogés, et brièvement détenus, au poste de commandement du 9, rue Harvey, puis orientés vers le centre d'internement de Vincennes. Le volume des arrestations et la rapidité des opérations sont tel que le commandant de l'unité estime nécessaire la reprise des interrogatoires pour obtenir des " dénonciations plus détaillées " .

 

Patrouilles, infiltrations, interrogatoires, la Police auxiliaire mène une lutte organisée et totale contre l'organisation du FLN. Mais le volet répressif s'accompagne d'une action psychologique à destination de la population du quartier, libérée de la contrainte financière de la collecte. Des policiers, Algériens comme eux, sont détachés par équipes dans les débits de boissons " arabes ", souvent dans les lieux mêmes des réunions nationalistes, et amorcent le dialogue en développant des arguments de contre-propagande . Des réunions plus importantes, sont organisées par le capitaine Montaner, ses officiers adjoints et ses chefs de sections, dans les cafés à clientèle musulmane . Cette mesure est habile puisqu'elle touche aux racines mêmes du nationalisme algérien en métropole : les réunions dans les cafés étaient un des vecteurs de la diffusion du messalisme pendant l'entre-deux-guerres . Le commandant de la FPA privilégie également les contacts directs avec l'homme de la rue, car les informations qu'il délivre sont plus rapidement exploitables que celles recueillies au centre d'internement de Vincennes . Le retour des renseignements du CIV entraînant des réactions répressives tardives, qui laissent un délai de fuite aux personnes recherchées. Les résultats obtenus sont prometteurs, les relations avec la population, moins soumise à l' impôt révolutionnaire, paraissent s'améliorer. En revanche, quelques incidents se produisent avec des ressortissants tunisiens, des Algériens ou des métropolitains, ces derniers répugnant à être contrôlés par " une police algérienne " . Cette amélioration des contacts se traduit par une recrudescence des visites : des informateurs bénévoles se présentent au poste de commandement, les demandes d'engagement, de service, de renseignements ou de protection affluent .

 

Optimisant son offensive, en dépit d'un déficit chronique d'effectifs , le capitaine Montaner redéploie son unité de manière à infiltrer et à désorganiser les bases arrières du 13ème arrondissement (c'est-à-dire le 14ème arrondissement à compter du 22 avril et la banlieue sud). Il organise aussi une série d'opérations ponctuelles à l'aide de " sections mobiles ", le plus souvent des patrouilles et des coups de mains sur l'ensemble du département de la Seine (notamment à Nanterre, Puteaux, Clichy, Barbès…) . Les opérations sont organisées principalement dans Paris : les arrondissements visés sont, à partir du début du mois de juin 1960, les 12ème et 15ème, et ceci en raison de leur immédiate proximité avec les arrondissements contrôlés par la police auxiliaire. Des opérations avec des agents en civil se déroulent dans le 18ème arrondissement en mai 1960. Ces dernières créent, selon le premier rapport établi par le commandant de la FPA, un " effet d'insécurité " parmi les militants de l'arrondissement . Les premiers résultats positifs entraînent la généralisation de ces opérations : les agents sont utilisés pour attirer l'adversaire, le conduire à la " faute ", ou bien en organisant des incidents concertés dans les cafés et hôtels arabes . Le déploiement de nombreux agents en civil est un atout psychologique nécessaire pour créer un climat de suspicion, mais également pour induire l'adversaire en erreur sur les effectifs réels de la police auxiliaire. Cependant, la pratique la plus efficace reste l'infiltration d'agents, appartenant ou non à la Force de police auxiliaire, au sein de la OPA et de l'OS. Certaines d'entre elles réussissent, puisque certains agents participent à des attentats contre la police auxiliaire, pour mieux masquer leur double-jeu . D'autres cependant, échouent et ces agents infiltrés sont exécutés ou sont contraints de rallier le FLN, voire l'ALN en Algérie . Ces " agents en civil hors cadre " sont systématiquement pourchassés aussitôt identifiés .

 

6. La riposte du FLN.

 

L'effet de surprise semble paralyser la réaction du FLN dans le 13ème arrondissement. Néanmoins, l'absence de réaction armée jusqu'au 23 octobre 1960 ne signifie pas une renonciation à la continuation de la lutte. Par mesure de prudence, les cadres locaux quittent rapidement l'arrondissement et suspendent leur activité. Ce choix dicté sous la contrainte des événements conduit l'état-major parisien à opter pour une stratégie d'attente : elle cède du terrain pour mieux se réorganiser sur ses bases arrières de proximité. Cette orientation tactique nuit à l'action de la Force de police auxiliaire qui est partiellement annihilée. En outre, elle laisse en suspens l'éventualité d'un retour de l'OPA dans l'arrondissement après le départ du makhzen . Malgré le repli apparent, et ceci malgré les patrouilles incessantes, la collecte mensuelle a lieu le 27 mars 1960 à proximité de la station de métro " Maison Blanche " . Continuant l'application des premières directives prises à l'encontre de la Force de police auxiliaire, le Front multiplie les recherches d'informations et les tentatives de prises de contacts individuels avec les moghaznis, afin d'obtenir des ralliements individuels ou collectifs, voire pour attenter à la vie des officiers de l'unité . Isolément, des hommes essayent de reconnaître des visages connus sous les calots ou esquissent des rencontres pour persuader un ou plusieurs policiers auxiliaires de quitter la formation supplétive. En 1960, ces manœuvres ne permettent que de rares ralliements individuels, dont il est difficile d'attester l'exactitude . Néanmoins à aucun moment, la cohésion de la Force de police auxiliaire ne sera sérieusement menacée. Toutefois, quelques rapports saisis lors d'opérations de police laissent supposer la présence dans la FPA de policiers favorables ou bien ralliés au FLN , voire au MNA . D'autres indices laissent supposer que le FLN était informé de l'imminence de l'implantation dans le 13ème arrondissement.

 

Plus violemment, mais avec autant de discrétion, l'exécution systématique des indicateurs de la police auxiliaire est organisée. Neufs indicateurs (trois résidant dans le 14ème arrondissement et les autres dans le 13ème) coopérant avec la Force de police auxiliaire sont identifiés par le Front en juin 1960. Un ordre de " les liquider d'urgence " est donné. Sept d'entre eux seront victime d'un attentat entre la fin mai et le début juin 1960 : cinq (ou six) seront mis à morts et un ou deux blessés. La plupart sont tués par balles, lors d'exécutions sommaires sur la voie publique, et l'un d'entre eux est étranglé . Les policiers auxiliaires sont également, individuellement, victimes d'attentats en permission ou en patrouille.

Néanmoins, la principale contre-mesure usitée par le FLN est le recours, selon le vocabulaire de la préfecture de police, à une campagne diffamatoire. Son but est d'émouvoir l'opinion publique et d'obtenir la dissolution de l'unité . Des informateurs du 6ème secteur SAT signalent l'ébauche d'une telle campagne. Ainsi, " des responsables frontistes et des militants bien choisis du foyer de Vitry - 45, rue Rondenay - ont reçu les consignes de déclarer dans les cafés et lieux publics qu'ils ont subi des exactions, ont été spoliés d'un portefeuille, d'une montre […] et ont été l'objet de violences de la part de la " police algérienne " ". La Bataille de Paris, ainsi que l'appelle le FLN et ses sympathisants, est également un affrontement politique entre les différents partis ou tendances favorables ou hostiles au mouvement indépendantiste algérien. La presse et les débats au Conseil de Paris permettent la confrontation des opinions entre les partisans et les détracteurs de la police auxiliaire. La manipulation de l'information concernant l'action de la Force de police auxiliaire est aussi bien l'apanage de ses partisans, qui insistent sur l'efficacité de l'unité, que de ses détracteurs, qui dénoncent la brutalité des supplétifs. La campagne se développe crescendo. Tout d'abord, le Collectif d'action du 13ème arrondissement pour la Paix en Algérie envoie une délégation contestataire auprès du capitaine Montaner, ensuite une série de communiqués de presse impliquant la Force auxiliaire de police sont diffusés dans l'Humanité, Libération, Le Monde et France Soir. Une démonstration, regroupant 500 personnes, organisée par les Partisans de la non violence se tient le 30 avril 1960 devant le CIV . Puis, le 2 mai 1960, une question écrite de Claude Bourdet, conseiller municipal PSU du 13ème arrondissement, attire l'attention du préfet de police sur les dangers que représente pour les riverains l'installation de l'unité dans son arrondissement. Il sollicite de plus amples précisions sur le fonctionnement et les attributions de la FPA et souhaite également connaître les conditions d'interpellation, de détention et d'interrogation des suspects. La question est très allusive et ouvre le débat sur la torture dans les caves des hôtels réquisitionnés. A ceci s'ajoutent des plaintes diverses pour vols et violences. Ces accusations, fondées ou non, s'intègrent dans la propagande du FLN, et sont relayées par la presse sympathisante de l'Algérie indépendante. Il est difficile pour l'historien d'apporter une réponse définitive à cette interrogation dans le cadre d'un article. Cependant il est exact, au regard des différents documents relatifs à la police auxiliaire, que la violence physique faisait partie du lot quotidien de l'unité. Menacé par les attentats, l'attrition physique et morale , le policier auxiliaire, sans pour autant que cela soit une généralité, recourt à la force et à la violence lorsqu'il est en opération. Une violence normalisée dans le cadre d'une interpellation policière menée dans le contexte de la guerre subversive. Mais celle-ci est rarement gratuite. Le capitaine Montaner encadre fermement ses hommes. Les agents les plus violents ou les moins honnêtes sont systématiquement licenciés . Ces éléments indisciplinés participent indirectement au discrédit de l'unité, car leurs exactions profitent aux détracteurs de la police auxiliaire qui s'en font l'écho auprès de l'opinion publique.

 

En revanche, les témoignages recueillis auprès des policiers auxiliaires et des officiers de l'unité réfutent les accusations de torture : la violence physique (coups divers, gifles…) est reconnue lors des interpellations et des interrogatoires, mais elle est l'ultime recours dans le second cas. L'interrogé subit en règle générale une pression morale face à des officiers bien informés sur ses activités. En outre, la nécessité de reprendre les interrogatoires indique l'absence de sévices ayant pour but l'obtention d'aveux complets et immédiats. La plupart du temps, les cadres subalternes semblent parler sans aucun recours à la contrainte . En revanche, la violence physique est reconnue, notamment lors des arrestations . Le recours à la violence est donc fréquemment, sauf exception, un calcul tactique, voire une arme d'action psychologique. Le recours à la raclée, ou dârba ?en arabe standard et dialectal, pratique humiliante, a pour but de dévaloriser le collecteur de fonds aux yeux des autres militants. Les réfractaires à la collecte subissant une sanction équivalente, voire la condamnation à mort, le caractère psychologique de la raclée vise à démontrer la réversibilité des contraintes financières et physiques du FLN. Les corrections font fonction de signaux d'avertissement indiquant à la direction du FLN que les hommes clés de son organisation ont été décelés au milieu de la population du quartier . Toutefois, la presse se fait l'écho des dommages subis par les prétendues victimes de sévices corporels, ainsi que des dégâts matériels commis dans les lieux publics par les policiers auxiliaires . L'historien s'interroge sur le bien-fondé de ces plaintes, sachant que la consigne était donnée aux militants interpellés de porter systématiquement plainte pour sévices ou vol lorsque ces derniers étaient arrêtés par la police . La déformation des faits inhérente à la guerre psychologique et subversive traduit mal une réalité porteuse d'une violence n'allant probablement pas jusqu'à l'usage de la torture.

 

La réaction armée contre les postes de la police auxiliaire se produit le 23 octobre 1960, par l'attaque concertée des postes des 13ème et 14ème arrondissements par des groupes armés du FLN, soit sept mois après l'arrivée de la FAP dans le 13ème arrondissement. Cette action différée s'explique par le contexte politique. Les actions armées du FLN sont en diminution dans la région parisienne pendant la période des pourparlers de Melun, malgré l'opposition de la Fédération de France . Et également, par l'action de la police auxiliaire, qui par ses opérations incessantes, entrave le fonctionnement des organisations locales du FLN de la rive gauche . Ensuite, les premières manifestations de commandos algériens manipulés par le SDECE contre l'organisation spéciale contraignent probablement le Front algérien à riposter sur la partie émergée de la " troisième force ". L'attaque occasionne le décès de 2 membres des groupes de choc et la blessure de plusieurs d'entre eux. La police auxiliaire compte 8 blessés. En dépit du caractère organisé de l'agression, celle-ci n'occasionne aucun dégât sérieux à l'unité et ne porte pas atteinte à son moral. Elle permet en riposte l'exécution d'une série d'opérations de police et de rafles et surtout l'implantation de la Force de police auxiliaire, qui compte désormais 2 compagnies opérationnelles, dans le quartier de la Goutte d'Or le 20 novembre suivant.

 

7. Les bilans de l'opération.

 

Au début du mois d'avril 1960, les structures locales du FLN semblent, au moins temporairement, désorganisées. Le nombre des cotisants de la zone 1221 est en diminution selon les statistiques de la police, mais reste constante dans les secteurs avoisinants .Mais cette implantation, bien que localement efficace - puisqu' une fraction de la population ébauche un début de résistance au FLN -, ne permet pas l'éradication totale de l'OPA dès la première attaque. Cette dernière conserve sa souplesse originelle et sa faculté de renouvellement quantitative. Le renouvellement des cadres locaux favorise l'avancée hiérarchique des agents infiltrés, les divisions internes entre l'OPA et l'OS et une perte qualitative du niveau de l'encadrement . En neuf mois, l'unité obtient des résultats opérationnels appréciables - en nombre d'interpellations - , bien qu'inférieurs à ceux de la BAV , mais ne parvient pas à interrompre les collectes financières sur une zone suffisamment élargie. Son intervention suspend les prélèvements temporairement, mais ne réduit pas significativement le nombre des cotisants dans l'ensemble du 13ème arrondissement.

 

En définitive, l'engagement de la FAP constitue réellement le tournant de la Bataille de Paris. De par ses capacités intrinsèques, son pouvoir d'adaptation et l'innovation tactique et psychologique de son commandement, la police auxiliaire devient au fil des mois l'unité offensive de la préfecture de police. Ses redéploiements géographiques (l'implantation dans le 18ème arrondissement le 20 novembre 1960 ou le retrait au fort de Noisy les 29 et 30 juin 1961) correspondent aux grandes phases de l'affrontement contre le FLN dans la capitale. L'activation de la FPA occasionne aussi une recrudescence du terrorisme individuel contre les forces de l'ordre, et la majorité des agressions sont progressivement orientées contre elle. La particularité de l'affrontement après le 20 mars 1960 est sa radicalisation. La population civile métropolitaine ne subit pas directement cette guerre, les pertes civiles, peu nombreuses, sont occasionnées par leur proximité avec le lieu des échanges de coups de feu entre les forces de l'ordre et les commandos nationalistes. En revanche, les éléments engagés s'affrontent avec une grande opiniâtreté : policiers auxiliaires et membres de groupes de choc font usage d'une grande brutalité. Interrogatoires violents pour les premiers et exécutions sommaires pour les seconds traduisent cette tendance. La " Bataille de Paris " devient un conflit de basse intensité, où s'oppose deux légitimités sur fond de guerre subversive : l'Etat français et l'Etat algérien naissant, représenté par le FLN. Dès son engagement, la FPA est considérée par les nationalistes comme un danger opérationnel et symbolique (en raison de son recrutement). C'est pourquoi, la FPA est au cœur de nombreuses plaintes et accusations. En définitive, l'affrontement entre les policiers auxiliaires et les militants du FLN est d'une portée politique forte puisqu'il oppose des hommes de même origine. Cette lutte souligne le caractère dramatique d'une guerre civile qui divise les acteurs d'une algérianité en cours de construction et qui oppose le FLN aux messalistes, aux activistes, manipulés par les services secrets français, du Front Algérien d'Action Démocratique et aux policiers auxiliaires. Le 20 mars 1960 constitue, à une échelle réduite compte tenu de l'ampleur du conflit, un épisode supplémentaire de la dramatisation du conflit franco-algérien.

 

* Rémy VALAT est doctorant à l'université de Paris I, sous la direction de Madame Danielle TARTAKOWSKY. Sujet : la Force de police auxiliaire (1959-1962).

 

Notes

 

1- L'auteur remercie pour leurs témoignages : le lieutenant-colonel Raymond Montaner, ancien commandant de la Force de police auxiliaire ; le chef d'escadron Pierre Buxeuil de Roujoux, commandant en second et officier de renseignement de la Force de police auxiliaire ; le chef d'escadron Loïc Le Béchu de Champsavin ; le colonel Roger Cunibile, ancien chef du Service d'Assistance technique aux Français Musulmans d'Algérie. Nous remercions également le capitaine Marc Géronimi, ancien capitaine du 4ème secteur du Service d'assistance technique aux Français musulmans d'Algérie (SAT-FMA) et correspondant du Front algérien d'action démocratique (FAAD). Outre les témoignages des officiers susmentionnés, deux autres personnes, dont un policier auxiliaire de la 1ère section de la 1ère compagnie recruté à Alger, ont accepté d'apporter anonymement quelques précieuses indications pour cet article.

2- Pour l'essentiel Jean-Luc EINAUDI, " La Bataille de Paris, 17 octobre 1961 ", Seuil 1991, Jean-Paul BRUNET, " Police contre FLN, le drame d'octobre 1961 ", Flammarion, 1999, puis, " Charonne, lumières sur une tragédie ", Flammarion, 2003 et les travaux universitaires de Linda AMIRI sur la manifestation du 17 octobre 1961 et la Fédération de France du FLN. Mais également Chouchane AMEL, mémoire de maîtrise intitulé " 17 octobre 1961 : charnier de l'oubli ", Grenoble, 1983.

3- Lire pour cela l'ouvrage de Paulette PEJU, " Les harkis à Paris ", cahiers libres n°29, Maspero, 1961. Réédition La Découverte Essais, 2000.

4- L'auteur effectue la recueil des témoignages des anciens policiers auxiliaires. Cette enquête est mentionnée par M. Jean-Paul BRUNET dans son dernier ouvrage traitant de la manifestation de Charonne, page 56. Il convient de préciser que celle-ci est effectuée dans le cadre d'un doctorat et non par le service historique de la préfecture de police.

5- Notamment la wilaya Nord-Belgique, où le nombre des cotisants croît en 1958-1959. La région Nord s'appuie sur une population depuis toujours fidèle à Messali HADJ. Et la Belgique, " base arrière " du MNA, principalement pour les transferts de fonds.

6- Principalement dans le XIXème arrondissement (quartiers de la Villette et Combat), et dans une moindre mesure à Saint Ouen et Levallois-Perret en 1959. Jacques VALETTE, " La guerre d'Algérie des Messalistes ", Histoire et Perspectives Méditerranéennes, L'Harmattan, 2001, P. 93 et 108. " Le problème algérien dans la région parisienne. Activité des services de police. Bilan de la lutte contre le terrorisme au 31 décembre 1958 ". Dossier conseil interministériel du 24 mai 1960. HA/65.

7- Raymond MUELLE, " La guerre d'Algérie en France (1954-1962), p. 303. annexe 2, collection Documents, Presses de la Cité 1994.

8- Ce service centralisateur d'informations relatives à l'immigration et au nationalisme nord-africain est chargé de l'établissement de synthèses quotidiennes à partir des transmissions faites par les administrations participant à son fonctionnement : préfecture de police, gendarmerie, Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), état-major général de la défense nationale, le service des affaires musulmanes et de l'action sociale et le ministère de la Justice. Il s'agit donc d'un service de coordination et non d'un service opérationnel.

9- Ce service comportait de nombreux services à vocation sociale collaborant avec leurs équivalents de la préfecture de la Seine, et une unité de police active chargée de la répression de la délinquance et du nationalisme nord-africain : la Brigade nord-africaine (qu'il convient de ne pas confondre avec la Légion nord-africaine, impliquée dans le massacre de Tulle en 1944). Dossier " Brigade nord-africaine " Ha 88 ; Rémy VALAT, " Introduction à la série H des archives de la préfecture de police " ; Linda AMIRI, " L'immigration algérienne dans le département de la Seine : entre encadrement, contrôle et répression. La préfecture de police de Paris et le Front de libération nationale, DEA, 2001-2002, pp.14-20.

10- Et ceci parallèlement à des opérations de " brassage " de la population des garnis et hôtels algériens. Ces dernières consistant à déplacer les locataires dans le but de contrarier la comptabilité et la collecte du FLN.

11- Composé de représentants du ministère de l'Intérieur, du ministère de l'Information, des Armées, des Anciens Combattants, du Secrétaire général des Affaires algériennes et du Centre de diffusion française. Ha 47, SCINA, réunion du 30 juillet 1958, Linda AMIRI page 36.

12- Circulaire du Premier ministre du 13 juillet 1959. Le SAT est étendu à Marseille, Lyon, Saint Etienne et en Seine-et-Oise.

13- Le 1er décembre 1961, le SAT-FMA dispose de 96 324 dossiers individuels - constitués en trois ans - sur la population nord-africaine de la Seine. Plus de la moitié de la population nord-africaine du département eût recours aux services du SAT-FMA, ce qui témoigne de la l'efficacité de l'action psychologique et sociale du service - et accessoirement du renseignement - malgré les contraintes dissuasives du Front de libération nationale à l'encontre des immigrés désireux de bénéficier des aides accordées par l'administration française. " Reflets de quelques statistiques mécanographiques relatives aux Français musulmans d'Algérie dans le département de la Seine ", p. 2. Commandant Roger CUNIBILE. Collection de l'auteur.

14- Composée de fonctionnaires de la section nord-africaine des Renseignements généraux

15- Les appellations se confondent. La plus fréquente est la première. Fréquemment, les sigles FAP ou FPA sont utilisés dans les rapports et les télégrammes de la préfecture de police pour désigner indifféremment le policier auxiliaire ou l'unité.

16- Série H2B des archives de la préfecture de police. Bertrand WARUSFEL, Contre-espionnage et protection du secret. Histoire, droit et organisation de la sécurité nationale en France ", Lavauzelle, 2000., pp. 64-65.

17- Bertrand WARUSFEL, op. cit. Pp. 63-65.

18- Charles-Robert AGERON, " Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie ", revue XXème siècle, n°48, 1995.

19-Paulette Péju, Les harkis à Paris, pp. 39-40.

20- Et vétéran de la Seconde Guerre mondiale - notamment de la campagne d'Italie - et de la guerre d'Indochine.

21- Lieutenant-colonel Raymond MONTANER, témoignage.

22- Témoignages colonel Roger CUNIBILE et lieutenant-colonel Raymond MONTANER.

23- C'est à dire, le groupe paramilitaire du FLN. A distinguer des " groupes de choc ", ayant la même fonction, mais orientée sur la défense de l'organisation politico-administrative (OPA).

24- Un fonds, pourtant jugé insuffisant, est débloqué pour l'organisation de l'unité.

25- Sujet également abordé lors du conseil et exposé au Premier ministre lors de la réunion du 18 septembre 1959.

26- Maurice FAIVRE, " service secrets et " troisième force " : le Front algérien d'action démocratique (FAAD) 1960-1962 ", p. 205, CEHD, Lavauzelle. L'idée d'une troisième force, à recrutement messaliste, aurait germé dans l'esprit du général Nicot, officier détaché au cabinet de Michel Debré, à partir de septembre 1959. Selon des renseignements collectés par le 6ème secteur du SAT-FMA, la formation auxiliaire, lorsqu'elle est évoquée lors des réunions du FLN, est considérée comme faisant partie d'une " troisième force " en cours de constitution. Note de renseignements du 6ème secteur (23 février 1960). Force de police auxiliaire, oppositions diverses à l'implantation des unités, Ha 87. L'aboutissement de la Troisième Force sera le FAAD, mais d'autres projets auraient été amorcés auparavant, notamment par le capitaine Marc Géronimi, qui aurait tenter la constitution d' une deuxième Force de police auxiliaire (entretien avec le capitaine Marc GERONIMI). Il s'agit probablement d'une initiative individuelle, puisqu'il n'y a, semble-t-il, pas eu de projet de constitution d'une deuxième Force auxiliaire en raison des difficultés rencontrés pour compléter numériquement la FPA qui devait initialement compter 1000 hommes.

27- Témoignage du lieutenant-colonel MONTANER.

28- Compte rendu journalier du 8 février 1960. Le stagiaire a été blessé par balle à la tête le 4 février 1960. Dossier " Force de police auxiliaire, comptes rendus quotidiens 1960. H1B10.

29- Compte rendu journalier du 18 janvier 1960. le stagiaire, enlevé, a été retrouvé dans la Seine le 17 janvier. Dossier " Force de police auxiliaire, comptes rendus quotidiens 1960. H1B10.

30- La pénétration des idées nationalistes remonteraient dans cet arrondissement aux années Vingt. Hasard de l'histoire, parmi les premiers militants du 13ème arrondissement identifiés en 1928, certains d'entre eux habitaient rue de la Gare, rue Nationale, et même 9, rue Harvey, futur siège du poste de commandement de la Force de police auxiliaire. Note sur l'activité de l'Etoile Nord-Africaine depuis sa création jusqu'au 15 novembre 1934, page 15. Ba 2172.

31- Soit dans l'organisation du FLN à la kasma 1, de la zone 2, de la superzone 2 de la 1ère wilaya (Paris-Centre).

32- Blanc de la section de renseignement du SCAA du 1er avril 1960. Ha 84.

- 1ère section : 159, boulevard de la Gare.

- 2ème section : 1 groupe au 206, rue du Château des Rentiers, 1 groupe, 23, rue Harvey.

- 3ème section : 139, rue du Château des Rentiers.

- 4ème section : 1 groupe au 9, rue Harvey (poste de commandement dans le café " Soleil d'Alger ", ancien siège d'un tribunal FLN), 1 groupe, 151, rue Nationale.

33- Ibid

34- Les premières patrouilles sont prudentes, selon le témoignage d'un policier auxiliaire, quelques agents en civil de la FPA précèdent et terminent les files d'agents en mission pour prévenir les agressions individuelles. En fin de mois, les patrouilles, outre le contrôle des identités, serviront également de méthode visant à perturber les collectes financières. H1B7, Force de police auxiliaire, réactions diverses de l'opinion publique (1960-1961). Compte rendu du 27 juin 1960.

35- Voir directives du capitaine Montaner du 18 mars 1960. Folios " zone d'action ".

36- Il est envisagé aussi, parallèlement au réseau de soutien, de constituer des groupes d'autodéfense avec le concours du SAT-FMA. Ce projet ne sera pas réalisé, bien que dans la pratique des tentatives aient eu lieu. Force de police auxiliaire, création de l'unité 1959-1960. Règlement intérieur, missions. " Conditions d'emploi établies au cours de la réunion de travail du 25 février 1960 ". Ha 84. Néanmoins, ponctuellement des demandes d'attributions d'armes individuelles à des agents favorables à la FPA seront demandées au cabinet du préfet pour que ces personnes puissent assurer leur protection tout en continuant leur mission. Note du directeur du cabinet au chef du SCAA du 8 novembre 1960. Force de police auxiliaire, résultats opérationnels 1960-1962. H1B10.

37- Notamment dans le 18ème arrondissement les 7 et 8 mai 1960, en prévision de l'implantation programmée dans ce secteur de la capitale. " Compte rendu d'opération effectuée dans le 18ème arrondissement le samedi 7 et le dimanche 8 mai 1960 ", Force de police auxiliaire, création, activité 1960-1961. Ha 84.

38- Utiles pour une meilleure connaissance de la population (pour pouvoir mieux ensuite, distinguer les personnes étrangères au quartier), et perturber les relations des réseaux locaux.

39- Les directives écrites du capitaine Montaner à ses hommes (18 mars 1960) leur imposent des règles comportementales favorables au " dialogue " : " Attitude vis à vis de la population : déférence, considération, politesse. Ne pas trop parler, mais dire des mots qui portent. Apprivoiser la population, l'aider, la défendre, l'encourager, lui donner un espoir, la sortir de la terreur dans laquelle elle vit. S'efforcer d'obtenir des renseignements nets et précis. Ne jamais confondre le bon du mauvais. S'efforcer de connaître tout le monde. Détecter tout étranger, lui demander des explications ".

40- Compte rendu FPA du 21-22 mars 1960.

41- En raison du pouvoir de perquisition dont bénéficie cette brigade. La BAV sera engagée instantanément à la demande des officiers de la FPA.

42- Blanc de la section de renseignement du SCAA du 1er avril 1960, p. 2. Ha 84.

43- Rapport sur la FPA implantée dans le 13ème arrondissement, situation au 10 avril 1960. Note n°26/FPA/AS du 10 avril 1960. Ha 84.

44- Note du directeur de Cabinet au directeur du SCAA du 8 novembre 1960, fiches de renseignement jointes en annexe. H1B10, Force de police auxiliaire, résultats opérationnels 1960-1962.

45- Rapport du 27 avril 1960. Ha 84.

46- Idem.

47- Ibidem.

48- Rapport du 27 avril 1960. Force de police auxiliaire, création, activité, Ha 84.

49- Page 3 du blanc.

50- Bilan de l'action de la Force de police auxiliaire et considérations sur le problème algérien vue de la métropole. Capitaine Montaner (18 avril 1960). Témoignage du lieutenant-colonel MONTANER.

51- Au cours de l'année 1927, puis en plus grand nombre à partir de 1928, l'Etoile Nord-Africaine organisait " des petites réunions de quartier, comptant chacune une centaine d'auditeurs. Celles-ci se tiennent principalement dans de petits établissements, restaurants ou cafés, qui appartiennent en général à des commerçants nord-africains… ". Note sur l'activité de l'Etoile Nord-Africaine depuis sa création jusqu'au 15 novembre 1934, pp. 14-15. Ba 2172.

52- Bilan de l'action de la Force de police auxiliaire et considérations sur le problème algérien vue de la métropole. P. 3. H1B6, Force de police auxiliaire, création.

53- La Force de police auxiliaire semble être soumise à des provocations limitées de la part d'individus recherchant l'altercation avec elle, afin probablement de rajouter au discrédit jeté par la campagne de presse du Front de libération nationale. Au sujet des " provocations " voir " compte rendu d'ambiance " du 12 juin 1960. H1B7, Force de police auxiliaire, réactions diverses de l'opinion publique.

54- H1B7, Force de police auxiliaire, réactions diverses de l'opinion publique (1960-1961). Compte rendu d'ambiance du 18 août 1960. En réalité, les informateurs bénévoles sont rencontrés fréquemment ailleurs qu'au poste de la FPA. Ces derniers, surveillés par des agents du FLN, ne permettent pas une rencontre sécurisée. Les informateurs sont rencontrés extérieurement selon divers procédés mis en place par le commandant de la FPA. Témoignage du lieutenant-colonel MONTANER.

55- En réalité, malgré l'exactitude de la plupart des informations recueillies par leurs agents de renseignements du FLN, notamment l'attaque dans le 13ème arrondissement, les membres de l'état-major de la wilaya de Paris estimaient à 1 500 le nombre de policiers recrutés dans la Force de police auxiliaire. La Police auxiliaire, à l'insu de son chef, bénéficiait encore de l'avantage de laisser son adversaire dans le doute quant à ses effectifs. Voir " première note sur les harkis de Paris ", Force de police auxiliaire, réactions diverses de l'opinion publique 1960-1961, H1B7.

56- Rapport du 10 avril 1960 portant le cachet " urgent ". Ha 84.

57- H1B7, réactions… rapport capitaine Montaner au directeur du SCAA.

58- En collaboration avec la police municipale pour " légaliser " les interpellations. Ce mode opérationnel est écrit dans le rapport du capitaine au directeur du SCAA du 13 juin 1960, dans lequel il demande l'autorisation de sa mise en exécution. Force de police auxiliaire, création de l'unité (1959-1960). Règlement intérieur, missions. Ha 84.

59- D'où probablement les nombreuses plaintes concernant les dégâts matériels occasionnés par la Force de police auxiliaire.

60- Témoignage du lieutenant-colonel MONTANER. Maurice PAPON, " Les chevaux du Pouvoir ", p.191.

61- Maurice PAPON, op. cit. p.197.

62- L'officier de police adjoint, MR, qui a rejoint le Maroc via l'Espagne après avoir quitté l'unité le 29 juillet 1960. Force de police auxiliaire, correspondance 1961-1963. H1B6.

63- A ne pas confondre, selon les rapports, avec les policiers appartenant à la section hors rang de la FPA, appelés aussi " hors cadre ".

64- Agression d'un " hors cadre " (un informateur selon le rapport. Il s'agit probablement d'un policier infiltré) le 22 avril 1960 en soirée à Clichy. Compte rendu du 23 avril 1960. Dossier " Force de police auxiliaire, comptes rendus quotidiens 1960. H1B10.

65- Certains se rendent probablement à Nanterre. Force de police auxiliaire…réunion du 28 mars 1960. Force de police auxiliaire, fonctionnement, activités (1960-1961), Ha 84.

66- Ce qui sera effectivement le cas après juin 1961. Les réseaux de collectes notamment se remettront en place très rapidement.

67- Force de police auxiliaire, fonctionnement, activités (1960-1961), réunion du 28 mars 1960.

68- La question écrite au Conseil de Paris n°441 du 19 novembre 1959 du Conseiller général, Raymond Barbet, au préfet de police concernant l'éventualité de l'introduction d'une formation de " harkis en civil " laisse supposer des fuites, parvenues jusqu'au service de renseignement du FLN.

69- Seuls quelques ralliements personnels seront obtenus, et aucune agression de " l'intérieur " ne sera tentée, en 1960, contre les cadres de l'unité.

70- Un policier auxiliaire a quitté le makhzen avec son arme administrative et a rejoint l'Allemagne. Il a été arrêté par la police allemande le 30 juin 1960. Copie de télégramme, Force de police auxiliaire, correspondance 1961-1963. H1B6.

71- Au sujet de documents découverts, 70, rue de la Mare, Paris 20ème. 20 juillet 1960. Sur des directives " adressées à des responsables du Front " deux paragraphes font allusion à un ou plusieurs " harkis " ayant des contacts avec le FLN et au(x)quel(s) il est demandé de faire des rapports….H1B6, Force de police auxiliaire, sécurité de l'unité (1960). Voir également Constantin MELNIK, La mort était leur mission. Le service action pendant la guerre d'Algérie ", Plon, 1996, pp.177-205. La mort du policier Rachid Khilou (dont l'identité a été dévoilée dans la presse, notamment dans un article de France-Soir du 19 novembre 1960) à Valence n'est pas encore totalement élucidée et dépasse le cadre de cet article. Il convient cependant de souligner que les informations sur les conditions de cet homicide sont contradictoires, notamment le témoignage de Constantin Melnik et les renseignements fournis par le chef du service régional de la police judiciaire de Lyon. Le premier situe le meurtre à la sortie d'un hôtel après une filature ; le second précise que le policier aurait résidé pendant deux jours chez sa sœur et que son agression aurait été le fait de trois individus contre la vitre d'un café en présence d'un témoin oculaire. Dossier RK. H1B8. Toutefois selon les différents témoignages, l'exécution a été mis en œuvre par le service action. Le lieutenant-colonel Montaner réfute avoir donner l'ordre d'exécuter son officier de police adjoint.

72- Un supplétif est licencié en raison de ces sympathies idéologiques pour le messalisme. Rapport du capitaine Montaner au directeur du SCAA. 4 octobre 1960. Force de police auxiliaire, correspondance 1961-1963. H1B6.

73- Note de renseignements (et pièces jointes) du 4ème secteur du SAT-FMA du 17 juin 1960, établie d'après les informations d'un indicateur fournies le même jour.

74- Le 20 mars 1960, le brigadier MB est blessé par balle dans le dos et au ventre alors qu'il est en permission dans le 11ème arrondissement. Compte rendu hebdomadaire du 21 mars 1960. Dossier " Force de police auxiliaire, fonctionnement, activités 1960-1961 ". Ha 84.

75- Il est utile de souligner que les membres du Comité central de l'Etoile Nord-Africaine réclamaient aussi dans les années trente la dissolution de la brigade nord-africaine, unité chargée de la surveillance des milieux nationalistes et de la répression judiciaire en milieu nord-africain. Cette brigade avait aussi la particularité d'être composée d'Algériens.

76- Force de police auxiliaire, fonctionnement, activités. Note au sujet de l'action de la FPA (2 mai 1960). En réalité, la réponse aux questions du conseiller municipal Claude Bourdet. Ha 84.

77- Notamment le stress causé par la crainte constante de l'attentat ou de l'agression individuelle.

78- Témoignage du lieutenant-colonel MONTANER. Fichier de la Force de police auxiliaire (Archives privées).

79- Témoignage du lieutenant-colonel MONTANER.

80- La note de synthèse du 2 mai 1960 confirme qu'en raison de la dangerosité des individus interpellés, les arrestations " sont parfois assez rudes mais ne dégénèrent jamais en sévices graves ". " Les interpellations de la FPA ne revêtent donc jamais le caractère de véritables interrogatoires et … il n'est jamais pratiqué ni toléré des sévices ou des tortures ".

81- (??????????).

82- Témoignage du lieutenant-colonel MONTANER.

83- Voir notamment les nombreuses coupures de presse inventoriées aux archives de la préfecture de police. Force de police auxiliaire, plaintes, coupures de presse et notes. 1960-1962. Plusieurs dossiers. Ha 87.

84- Pierre LE GOYET, La Guerre d'Algérie, Seuil, 1989, p.471.

85- Le comité fédéral ne semble pas favorable à une trêve dans les actions armées contre la police, les groupes de choc et l'organisation spéciale, réorganisée sont sur le pied de guerre au moment des pourparlers de Melun. Le rapport adressé par le comité fédéral au ministre de l'Intérieur du Gouvernement provisoire de la République Algérienne au Caire le 23 juin 1960 exprime nettement le rejet de toute trêve et souligne le rôle des " harkis " dans les risques d'effritement de l'organisation… Ali Haroun, " La 7ème wilaya. La guerre du FLN en France 1954-1962 ", annexe n°29.

86- Rapport du capitaine Montaner au directeur du SCAA, 15 juin 1960. Force de police auxiliaire, oppositions diverses à l'implantation des unités. Ha 87.

87- Maurice FAIVRE, op. cit. p.205. A l'automne 1960, des éléments détachés d'une SAS d'Algérie effectueront des opérations d'exécutions sommaires dans la ville à partir d'un hôtel du 7ème arrondissement. Ce groupe d'environ 7 personnes ignorait pour quel service ils opéraient. Témoignage anonyme. Il convient aussi de signaler les opérations homos du service action, les opérations, moins nombreuses dans Paris de la Main Rouge ainsi que les assassinats ponctuels d'agents du FLN par des hommes, appartenant au monde de la délinquance ou du crime organisé par le Service d'action civique (SAC). Voir le témoignage de Patrick CHAIROFF, B… comme barbouze, ….p.

88

Région Février 1960 Mars 1960 Octobre 1960

1221 3 200 3156 2 315

1222 2 450 2 428 2 243

1223 2 320 2 229 2 311

 

Source : Blanc " Le Front de libération nationale et la Force auxiliaire de police " ; Force de police auxiliaire, oppositions diverses à l'implantation des unités. Ha 87.

89- " Le Front de libération nationale et la Force de police auxiliaire ". 3 novembre 1960. Force de police auxiliaire, oppositions diverses à l'implantation des unités. Ha 87. Il convient de signaler que 98 individus se sont placés sous la protection de la police auxiliaire. Rapport annuel de l'activité des services (3 juillet 1961).

90- Procès verbal de la réunion du 26 octobre 1960. SCINA, réunions (1960-1963), Ha 47.

91- Idem, procès verbal de la réunion du 12 octobre 1960.

92- La Force de police auxiliaire a effectué entre le 20 mars et le 31 décembre 1960 et sur un nombre plus restreint d'arrondissements, les interpellations et saisies d'armes suivantes :

 

a) Organisation politico-administrative : 3 chefs de zone ; 1 chef de zone (comité de soutien aux détenus) ; 5 chefs de région ; 2 chefs de région (comité de soutien aux détenus) ; 27 chefs de secteurs ; 21 chefs de kasma ; 48 chefs de section ; 73 chefs de groupe ; 272 responsables de rangs subalternes ; 378 individus suspectés d'activité en faveur du FLN.

b)Groupes de choc : 1 chef de secteur ; 1 chef de kasma ; 3 chefs de section ; 24 chefs de groupe ; 8 chefs de cellule ; 32 militants.

Soit un nombre total de 899 interpellations et 2654 visites d'établissements. En outre, 4 membres du FLN ont été tués au combat et 12 ont été blessés ( la police auxiliaire déplore 8 tués et 30 blessés).

c) Découvertes d'armes et d'argent : 4 pistolets mitrailleurs ; 21 pistolets automatiques ; 3 revolvers ; 4 obus de mortier de 60 mm ; 5 fusées de 60 mm ; 6 cartouches de fusée ; 8 grenades défensives de fabrication anglaise ; de nombreux documents ; et 36 195 francs , dont 13 000 en bons du Trésor, provenant de collectes.

93- Il est vrai que les statistiques pour cette unité concernent les douze mois de l'année. L'ancienneté de l'unité, mais aussi la collaboration de la police auxiliaire, du SAT-FMA et de la section de renseignement du SCAA, expliquent son meilleur rendement. Celle-ci a permis l'arrestation de 1 324 membres du FLN dont un responsable fédéral, un chef de wilaya, un chef de superzone et 17 chefs de régions. Rapport annuel de l'activité des services (3 juillet 1961). Force de police auxiliaire, création, activité 1960-1961. Ha 84. Le transfert systématique de renseignements concernant les collectes de la FPA vers la BAV explique aussi, le faible nombre de saisies de fonds par les supplétifs. Témoignage du lieutenant-colonel MONTANER.

 

Table des sigles et vocabulaire arabe

BAV Brigade des agressions et violences

BDL Bureau des liaisons

BRS Bureau de renseignement spécialisé

BT Brigade territoriale

CIV Centre d'internement de Vincennes

Dârba Il frappa, frapper (l'infinitif arabe correspondant à la troisième personne du passé simple en français).

DST Direction de la surveillance du territoire

FAAD Front algérien d'action démocratique

FLN Front de libération nationale

FPA (ou FAP) Force de police auxiliaire ou Force auxiliaire de police

GAP Groupe de travail et d'action psychologique

harki Combattant supplétif algérien de l'armée française

Maghzen Unité de police supplétive

MNA Mouvement national algérien

Moghazni Policier supplétif

OAS Organisation de l'armée secrète

OPA Organisation politico-administrative

SAC Service d'action civique

SAINA Service de surveillance et de protection des indigènes nord-africains

SAS Section administrative spécialisée

SAT Service d'assistance technique

SAT-FMA Service d'assistance technique aux Français musulmans d'Algérie

SAU Section administrative urbaine

SCAA Service de coordination des affaires algériennes

SCINA Service de coordination des informations nord-africaines

SDECE Service de documentation extérieure et du contre espionnage

Service action Unité du SDECE

Service de protection des travailleurs algériens dans la métropole Appellation initiale de la Force de police auxiliaire


 

Article paru dans la revue : Les cahiers de l'Orient, troisième trimestre 2003 ; Être Maghrébins en France

Immigration et politique de l'habitat

 

Svlvestre Tchibindat *

" le principe que nous avons posé au début, lorsque nous fondions la cité, comme devant toujours être observé, ce principe ou , formes est, ce me semble la justice ".

Platon : La République, livre IV

Dans un article sur la politique du logement des immigrés (1945-1990), Vincent Viet s'interroge sur la crise du maghrébin :

 

Il existait bel et bien une politique du logement en faveur fût-elle étrillée par une urgence constamment reconduite. C'est don en réalité le décalage entre la reconnaissance technique du problème, somme toute ancienne, et sa cristallisation tardive en crise qui ne laisse pas d'intriguer : pourquoi donc la polarisation de la question du logement des immigrés s'est-elle produite, alors que les grands bidonvilles avaient pratiquement disparu du paysage urbain que la crise nationale du logement urbain ne revêtait plus l'intensité dramatique qu'elle avait eue dans les années 1960 et que venait d'être prise la décision de suspendre l'immigration économique ? " (1).

 

Il est indispensable de faire une recension des différents dispositifs spécifiques concernant l'immigration. Il convient de préciser que logement des populations issues de l'immigration, souvent assimile une concentration dans les grands ensembles, ne procède pas de fondements " ethniques ", mais est fortement déterminé par des facteurs sociaux, économiques et politiques. Les statistiques l'INSEE démontrent par ailleurs une présence beaucoup plus importante que l'on ne le croit dans le logement individuel pavillonnaire. Les dispositifs spécifiques en matière de logement comme dans d'autres domaines, tendent de plus en plus vers alignement sur le droit commun.

 

Repères historiques, textes de lois et circulaires

 

La Société Nationale de Construction de Logements pour / Travailleurs Algériens (SONACOTRAL) est créée par la loi du 4 août 1956, pendant la guerre d'Algérie ; elle devient la SONACOTRA en 1963, après les accords d'Evian. Cette société d'économie mis contribue à la mise en œuvre d'une politique locative en direction de l'ensemble des émigrés. A son origine, elle était chargée du logement des travailleurs algériens célibataires dans des foyers, ainsi que de résorption des bidonvilles et de l'habitat insalubre. On pourra résumer ainsi l'évolution de la politique locative en faveur des émigrés :

o Une ordonnance ministérielle du 29 décembre 1958 met en place le Fonds d'action sociale pour les travailleurs musulmans d'Algérie_ en métropole (FAS). Ce fonds affectera une proportion considérable: de ses crédits à la construction de centaines de foyers pour 1es travailleurs immigrés, essentiellement dans la région francilienne ; puis aussi à la réhabilitation de logements, notamment de logement, relais. Quand on passera de " l'homme seul à la famille " (2). - FAS va élargir ses compétences aux familles qui viennent dan l'hexagone, dans le cadre du regroupement familial. Il y aura également une réaffectation des fonds à la gestion et l'animation socioculturelle, ainsi que la promotion de l'accompagnement d: résidents.

o En 1970, un crédit spécifique est affecté au logement des étrangers (travailleurs et leurs familles) dans le cadre d'un convention avec l'Union Nationale Interprofessionnelle du Logement (NIL). Il proviendra d'un prélèvement d'1/9ème de la collecte des entreprises assujetties de plus de 10.salariés.

o Un arrêté ministériel du 11 mai 1976 crée la Commission nationale pour le Logement des immigrés(CNLI) et la charge de " coordonner l'ensemble des actions relatives au logement des travailleurs immigrés et de leurs familles "Une circulaire ministérielle du 20 juillet 1976 confère ensuite à son secrétariat général des attributions qui étaient antérieurement dévolues à la Direction de la Population et des migrations(DPM)qui dépend des Affaires sociales.

 

o Au milieu des années 70, des " grèves de loyers " commencent à toucher l'ensemble des foyers, qui vont se regrouper dans un Comité de coordination. Pour tenter de mettre fin à un conflit qui prend de l'ampleur, une commission présidée par M. Delmon va poser les jalons d'une réflexion dans les foyers, qui se situent largement dans une zone de non dit avec des sociétés gestionnaires toutes puissantes, usant et abusant de l'arbitraire.

o En 1982, la commission sur le devenir des foyers, présidée par le sénateur PS Dreyfus-Schmidt et composée de huit délégués de foyers, recommande principalement d'étendre le bénéfice de l'Aide personnalisée au Logement (APL) - qui est attribuée aux locataires du parc HLM - aux résidants des foyers de travailleurs émigrés, et de _mettre en place une Aide Transitoire au Logement (ATL) dont la gestion et le financement seront confiés au FAS. Cette aide s'adresse aux résidants de foyers dont les chambres ne sont pas conformes aux critères d'habitabilité pour bénéficier de l'APL et de l'Aide au logement Social (ALS).

o En 1983, le FAS change de dénomination et devient le Fonds Action Sociale pour les Travailleurs Immigrés et leurs Familles(FASTIF). Au-delà du changement de sigle, il s'agit de consacrer le caractère pérenne de l'immigration en France.

o Le gouvernement publie le 15 février 1988 une circulaire ministérielle qui va élargir le champ d'intervention du 1/9ème prioritaire aux populations défavorisées.

 

o Un arrêté du 28 mars 1988 va diviser le 1/9e prioritaire en deux parts : une réserve nationale correspondant à 15% des fonds seront désormais gérée par la CNLI, alors que les 85% de " reliquat " seront déconcentrés au niveau des régions et des départements.

o Le 23 décembre 1994, trois décrets vont modifier profondément réglementation en cours sur les " logements-foyers ". Ces décrets visent à créer une nouvelle catégorie d'habitat, " les résidences_ sociales ", qui ont pour objectif de constituer un relais vers logement définitif, les foyers étant considérés comme une forme _ logement provisoire alors qu'il est désormais reconnu que. l'immigration est une immigration d'installation.

Les Foyers de Travailleurs Migrants (FTM) et les Foyers de Jeunes. Travailleurs (FJT) qui répondent aux critères requis pourront bénéficier de financements par le biais de Prêts Locatifs (PLA), _ Prêts à l'Amélioration de l'Habitat (PAH) et d'aide aux personnes.

Dans une contribution aux deuxièmes rencontres parlementaires o la Ville, Michel Pélissier, président de la SONACOTRA explique " (...) Depuis le décret du 23 décembre 1994 sur les résidences sociales, la SONACOTRA a créé plus de 60 résidences dont plus de moitié ne sont pas de simples transformations de foyers existants_ N'oublions pas que lorsqu'on réhabilite un foyer, il devient résidence sociale. Notre parc représente 25% des résidences sociales labellisées de ce pays. La résidence sociale a été conçue comme un outil d'insertion. (...) Chacun travaille sur la problématique des quartiers, mais je constate que les anciens contrats de ville ont soigneusement exclu les foyers de travailleurs immigrés... " (3)

o A partir de 1995, la réserve nationale du 1/9ème gérée par CNLI va financer des opérations de réhabilitation et d'amélioration locatives de foyers de travailleurs migrants, afin de les introduire dans le processus d'intégration aux résidences sociales. Ce dispositif concerne également la résorption du bâti insalubre et la création logements pour les familles nombreuses (2).

o Un arrêté ministériel du 9 juin 1998 crée la Commission: interministérielle pour le logement des populations immigrées, qui a une double mission : la mise en œuvre d'un plan quinquennal de traitement des foyers de travailleurs migrants et la rédaction annuelle d'un bilan de la situation du logement des populations immigrées.

o Le guide de l'ADRI explique le contenu d'une circulaire parue en 1999 : cette circulaire, " relative à la prise en compte du logement des populations immigrées dans la préparation des contrats de ville(…) insiste sur la nécessité d'inscrire systématiquement les outils de l'intégration et les foyers de travailleurs migrants dans les contrats de ville ou de l'agglomération d'agglomération 2000-2006. En matière de logement, la contractualisation repose sur trois objectifs : un meilleur accès des populations immigrées à l'ensemble du parc de logements ordinaires afin d'éviter leur concentration dans des îlots ou quartiers déterminés, leur maintien dans des logements décents et une transition des foyers vers le statut de résidence sociale. "

o Un avenant à la convention du 14 mai 1997 est signé le 11 octobre 2001 entre l'Etat et l'Union d'Economie Sociale pour le Logement (UESL). Il prévoit une prorogation pour cinq ans - jusqu'au 31 décembre 2006 - du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants.

o La loi n° 2001-2006 du 16 novembre 2001, relative à la lutte contre les discriminations, entraîne un changement de dénomination de la FASTIF qui devient désormais le Fonds d'Action et de Soutien pour l'Intégration et la Lutte contre les Discriminations (FASILD).

 

Conclusion

Le rapport du Commissariat général au plan (sous la direction de Stéphane Hessel) : " Immigration : le devoir d'insertion " soulignait que " le logement situe les immigrés dans l'espace, il est indispensable à la notion de territoire que s'approprient les individus ou les groupes... Il détermine largement le rapport quotidien à la société française, tel que celui-ci se manifeste dans la scolarité, la santé et la vie sociale en général " (page 248). L'habitat constitue donc une donnée essentielle sinon fondamentale des politiques d'insertion et d'intégration des populations issues de l'immigration.

 

*Sylvestre Tchibindat est titulaire d'un troisième cycle de sociologie, secrétaire général du CRAC. Il a collaboré sous la direction de Jacques Simon à la rédaction de deux ouvrages sur l'immigration algérienne en France. Il a collaboré à a revue Cirta du CREAC et à Libre Algérie. Il est l'auteur de deux livres publiés chez l'Harmattan :

2004, La réglementation de l'immigration algérienne en France, et

2005, Le Logement des Algériens en France

 

Notes

 

(1) Viet Vincent, " La politique du logement des immigrés ", in Vingtième siècle, numéro spécial, Villes en crise, oct/déc. 1999.

(2) Zehraoui Ahsène, " L'immigration : de l'homme seul à la famille " CIEMI/

L'Harmattan, juin 1994, p. 173.

(3) Pelissier Michel, président de la SONACOTRA, Résidences insertion des travailleurs étrangers, in Pour une renaissance de la rencontres parlementaires sur la ville - Actes du colloque, mars 2000, pp 88-89.

(4) Le patrimoine des Foyers de Travailleurs Emigrés appelés par les pouvoirs publics à acquérir le statut des résidences sociales regroupe 690 établissements représentant une capacité de 127.500 lits principalement sur trois régions de l'hexagone : l'Ile-de-France. 58.000 lits ; Rhône-Alpes 115 foyers, 20. 300 lits ; Provence Alpes Côte d'Azur, 84 foyers, 12. 130 lits.

La majorité des foyers de travailleurs migrants sont en conventionnement APL (soit 72%). Le reste est destiné à l'allocation de logement social l'allocation transitoire au logement (14%). Il convient de noter qu'une grande majorité de foyers a été construite entre les années 1965 et 1975.avec des normes architecturales au moindre coût d'où un vieillissement accéléré du bâti , Les organismes propriétaires se ventilent de manière suivante :

- l'Etat (et les ministères) à la hauteur de 1,5% ; les organismes d'HLM dans une proportion de 41% ; la SONACOTRA (47%) et les organismes gestionnaires qui ont un statut associatif et sont principalement regroupés dans l'UNAFO qui regroupe 35 organismes et 661 foyers, soit près de 120 000 lits

 

 


EL WATAN, 29-30 avril 2005

IMMIGRATION ALGERIENNE EN FRANCE

 

Flash-back sur un siècle d’histoire

Le Centre culturel français (CCF) d’Alger a organisé, jeudi, une conférence-débat animée par Dalila Cherif, chercheur au Centre de recherche et d’étude sur l’Algérie contemporaine (CREAC), basé en France, autour de l’immigration algérienne en France, histoire d’un centenaire.

L’approche historique choisie par le chercheur a permis d’appréhender l’immigration comme phénomène sociologique évoluant entre la déstructuration de la société d’origine sous le régime colonial et la transition non sans violence de la paysannerie algérienne du système traditionnel vers le prolétariat de l’organisation capitaliste. L’industrialisation de la France de la fin du XIXe siècle, les besoins militaires de l’empire colonial, le séisme frappant les structures sociales anciennes ont précipité les mouvements migratoires vers la métropole. Tiraillé entre le statut discriminatoire de l’indigénat en Algérie et la découverte de l’action collective politique dans le militantisme syndical dans les foyers industriels en France, l’émigré politisa non seulement une conscience du refus, mais en plus rationalisa ses moyens de lutte et de contestation. L’identité de l’immigration trouve ici une de ses matrices. L’autre matrice reste sa capacité, a souligné le chercheur, à perpétuer ses liens avec la société d’origine créant une sorte de « contre-société » avec ses propres référents culturels, ses propres réseaux de solidarité (les cafés-hôtels-restaurants du début du XXe siècle), permettant l’intégration, mais luttant contre l’assimilation. Le CREAC, fondé en 1995 par l’historien Jacques Simon, fin connaisseur du mouvement ouvrier de l’immigration et du Messalisme, travaille notamment sur l’historicité de cette « matrice algérienne » qui surpassa le schéma de la simple structure communautaire. Mais il fallait attendre les années 1950 et 1960 pour voir l’immigration du travail, étroitement dépendante de la société d’origine, se muer en immigration de peuplement qui inspira au sociologue Abdelmalek Sayad la notion de la « colonie algérienne », qui devint graduellement autonome, stratifiée et diverse. Transition fondatrice également de l’immigration algérienne qui, après la fin officielle de l’immigration du travail, commença à suivre la trajectoire des autres immigrations en France. Parler de « deuxième génération de l’immigration », expliqua Dalila Cherif, c’est reproduire de faux schémas. « Pourtant, ces jeunes n’ont pas émigrés, eux », lança-t-elle. L’amalgame renseigne sur le déficit en conscience historique dont l’écriture de l’histoire reste la pierre angulaire. L’immigration algérienne en France se trouve souvent otage des raccourcis du discours ambiant. Elle se cherche une identité dont le fondement ambigu a été résumé par Sayad, La double absence, titre de son ouvrage posthume assemblé et préfacé par Pierre Bourdieu. « La violence dans le discours sur l’immigration résulte des vérités non dites », indiqua le chercheur. Objectiver l’immigration à travers sa réalité historique permet de mieux recouvrir pleinement l’histoire de ce phénomène si intime. Le CREAC devra collaborer avec le CCF d’Alger pour rendre disponible aux chercheurs algériens sa base bibliographique. « Pour reconnaître l’histoire, pour reconnaître les hommes », est intervenu Aldo Herlot, le directeur du CCF. Adlène Meddi

 

 

Repères

Collection Mémoires et Histoire, 330 min, 2 DVD. Auteur(s) : Delattre, Didier ; Houzel, Rebecca ; Martin, Daniel ; Millet, Jean-Luc ; Mitteaux, Valérie. Date de parution: 2008. Prix: 30€ CRDP académie de Créteil 7, rue Roland-Martin 94500 CHAMPIGNY-SUR-MARNE Tél. : 01 41 81 20 20

 

Dalila CHERIF

 


MERCREDI 19 NOVEMBRE 2008 - EL ACIL

 

CULTURE

L'IMMIGRATION ALGERIENNE EN FRANCE

Histoire d’un centenaire

La conférencière a retracé les grandes dates de la longue histoire de l'immigration Algérienne en France, étalée sur un siècle depuis 1898 jusqu'à 1998. La problématique de l'immigration a été abordée sous son double aspect : historique et sociologique.

Modestement elle déclare :" j'ai toujours des choses à apprendre sur l'Algérie et j'apprends davantage quand je viens ici". La conférencière explique les raisons et les motivations de cette recherche elle dira : " Ce travail a

été commandé par la FEN (La Fédération de l'Education Nationale) , il a été mené par le (CREAC) sous la direction de l'historien Jacques SIMON ". Dalila CHERIF tenait particulièrement à remercier l'historien Jacques SIMON, Juif d'Algérie natif de Tiaret, Messaliste, il a participé au mouvement algérien d'indépendance, elle

dira : " je me suis rendue compte, et grâce à lui, que ce n'est pas parce qu'on est Algérien qu'on est plus en droit d'écrire et qu'on est plus légitime que d'autres à travailler sur cette question ". Elle enchaîne : " Pour moi, Jacques

SIMON est un fil conducteur, c'est quelqu'un qui me permet d'avoir un éclairage concret sur ces événements, comme historien et témoin, il a un double regard ".

Quant à l'écriture de l'histoire franco-algérienne la conférencière pense que : "l'écriture de l'histoire franco-algérienne est caractérisée par les passions extrêmes et les prises de position, cette histoire nous avons voulu l'inscrire sur la longue durée pour pouvoir mieux l'analyser. "

Un siècle passé, le temps nécessaire pour que les passions s'étampent et les esprits s'apaisent, car l'écriture de l'histoire exige de là sérénité et de la rigueur scientifique.

L'immigration algérienne en France était spécifique sous tout point de vue, elle ne ressemblait pas aux autres immigrations européennes, on peut la qualifier dans un sens de paradoxale, bien sûr du point de vue de la logique

française, sinon comment peut-on parler d'un immigration algérienne en France alors que l'Algérie était considérée comme un prolongement de la France, un département Français et donc une partie intégrante de l'Empire Français ? Finalement, de ce point de vue-là, les Algériens de l'époque ne faisaient que voyager à l'intérieur d'un seul et même pays.

L'immigration algérienne de la deuxième moitié du XIX siècle était essentiellement agricole et donc temporaire, liée principalement à la saison vinicole, les premiers immigrés étaient des Kabyles ruraux ou villageois, analphabètes pour la majorité d'entre eux et sans aucune qualification professionnelle, avec l'essor de l'industrie française et l'émergence de la classe ouvrière, l'immigration change de nature, d'agricole elle devient prolétaire.

Le décret Crémieux de 1870 assimilant les juifs d'Algérie en leur accordant la nationalité française ne fait qu'exacerber chez les Algériens le sentiment d'injustice, ils se sentent lésés, exclus, ils restent soumis au Code

de l'indigénat. C'est au sein de la C.G.T (Confédération Générale du Travail), la première centrale syndicale créée en 1895, que les Algériens vont faire l'apprentissage de la politique, les luttes syndicales, les bouleversements socio-économiques survenus en Europe et plus particulièrement en France vont aiguiser et de manière radicale les idées politiques des immigrés algériens, donc pour ces derniers, la C.G.T n'était pas seulement l'arène des luttes syndicales, elle fut aussi une grande école et une pépinière d'idées. A partir des années dix, les Algériens installés en France vont s'organiser et se structurer en une véritable matrice, une sorte de microsociété avec ses référents culturels, son code moral et ses réseaux de solidarité, ce premier noyaux d'Algériens va créer ses propres juges et ses propres élites. Peut-on imaginer un seul instant les conditions de vie atroces dans lesquelles vivaient l'immense majorité des Algériens de la première moitié du XXe siècle ? La colonisation française avec son lot de guerre et de misère n'offrait guère de perspectives, l'immigration s'imposait alors comme un dernier recours voire une issue probable à une situation devenue intenable .

Aux yeux de la France coloniale, l'Algérie constituait un immense réservoir de main-d'œuvre corvéable

et d'hommes mobilisables, pour combler un déficit d'effectif militaire. La France n'hésitait pas à recruter des Algériens pour faire la guerre, des centaines d'Algériens ont pris part aux guerres napoléoniennes, la

guerre franco-allemande a vu périr des soldats algériens venus défendre avec bravoure et abnégation une patrie qui n'était pas la leur.

En 1917, les immigrés algériens sont quelques milliers en France, les mariages mixtes s'ils existaient

n'étaient pas officialisés de peur des représailles : on comptait 700 mariages et 1000 Algériens vivaient dans des ménages mixtes.

En 1945, d'après les statistiques des préfectures françaises, 200.000 Algériens travaillaient dans les différents

secteurs de l'industrie.

Le début du XXe siècle marque l'avènement d'une conscience nationale Algérienne, confrontés aux luttes politiques et sociales françaises, les Algériens sont à l'écart mais demeurent attentifs.

Après l'indépendance, l'immigration Algérienne va s'amplifier et devient une immigration de peuplement, ce

sera le début du communautarisme, elle va se clôturer officiellement avec l'arrivée au pouvoir de Giscard

d'Estaing qui accorde une aide retour pour tous les Algériens désireux de rentrer chez eux.

D'après Dalila CHERIF : "L'immigration Algérienne est un problème interne à l'histoire de la France, c'est une histoire qui doit aussi concerner les Algériens".

Cette recherche a fait l'objet d'un ouvrage de deux tomes , le premier tome s'intitule : L'immigration algérienne des origines à l'indépendance, publiée en Novembre 2000 aux éditions Paris Méditerranée, le tome deux

intitulé : L'immigration algérienne en France de 1962 à nos jours , publiée chez L'Harmattan.

Pour mieux illustrer la diversité religieuse, ethnique et culturelle de la France d'aujourd'hui, la conférencière

rapporte une anecdote pertinentede sa mère : " La France est devenue Ras El-Hanout ". On ne peut mieux dire en effet la société française d'aujourd'hui est très épicée !

La conférence s'est clôturée par la projection d'un film émouvant sur la génération issue de l'immigration* : le film soulève les interrogations d'une jeunesse née en France en quête de repères.

On reconnaît certainement cette voix mélodieuse parmi tant d'autres, ces chansons tristes, elles nous racontent l'exil (El Ghorba), la grande désillusion , la solitude et le déracinement de ceux qui un jour ont quitté leur

pays en laissant épouses et enfants pour un monde meilleurs, cette voix de l'exil c'est celle de Mazouni.

Il est navrant que le public présent à la conférence était peu nombreux : les absents ont toujours tort ;

l'histoire de l'immigration est notre histoire à tous.

Les universitaires, les étudiants et les intellectuels de la ville de Constantine se plaignant à longueur d'année du

" vide culturel " ont brillé par leur absence.

Pour rappel l'entrée est libre.

 

Karboua ABDELAZIZ

 

 

 

* Note que je précise : Le lait amer, de Rebecca HOUZEL, extrait du DVD du CRDP de l’académie de Créteil pour la CNHI intitulé Histoire et Mémoires des Immigrations.